LISULF
Ligue internationale des scientifiques pour l’usage de la langue française


 

SCIENCE et FRANCOPHONIE : Janvier 2004, no 85

"Extrait de la Table des Matières"

 

Daniel Pajaud, pionnier de la LISULF. 1934-2003


Un géologue défenseur de notre langue : Daniel Pajaud. In memoriam

        par Pierre Routhier.............................................................................3

Éditorial. Hommage à Daniel Pajaud, pionnier de la LISULF et de l'ANSULF

        par Pierre Demers............................................................................5

Notice. Daniel Pajaud (1934-2003)

        par Christian C. Emig, Université de Marseille...................................7



Un géologue défenseur de notre langue : Daniel Pajaud. In memoriam

par Pierre Routhier

    Notre collègue s'est éteint, âgé de 69 ans. Il serait la dixième victime d'un cancer de la plèvre induit par l'amiante flottant dans les locaux de l'université Pierre et Marie Curie. Quand on se souvient que la construction de cet établissement fut arrachée de haute lutte par le "Mouvement national pour le développement scientifique" (MNDS) et qu'il fut inauguré en grande pompe, en 1967, quelle tragique ironie !

    Instituteur pendant 4 ans, professeur de sciences naturelles pendant deux ans, puis enseignant en paléontologie à l'Université jusqu'à sa retraite en 1988, Daniel Pajaud a investi son énergie dans des activités très variées mais toutes empreintes du même souci : rigueur, clarté, élégance du langage. Dans cet esprit, il a rendu de grands services à l'UFG comme membre de son conseil d'administration (1977-1985) et comme rédacteur en chef de "Géologues" (1977-1986).

    Son dévouement à ces tâches qui ne rapportent aucun "avancement" était d'autant plus méritoire qu'il aurait pu, comme tant d'autres enseignants-chercheurs, se tenir à l'écart d'une Union regroupant surtout des praticiens. En effet ses recherches sur un groupe de Brachiopodes (thèse d'État publiée dans les Mémoire de la SGF en 1970 et une centaine de notes entre 1968 et 1984) étaient fort éloignées des problèmes que les praticiens ont à résoudre. Son engagement dans l'UFG signifiait donc qu'il considérait notre profession comme une grande famille où il eût été préjudiciable de laisser s'ouvrir des coupures.

    Peu de nos membres, même appartenant à sa génération, ont bien connu son engagement majeur : la défense de notre langue contre le ras de marée anglophone. Au début de 1981, réagissant à une impulsion venue d'un physicien du Québec, Pierre Demers, il fonde l' "Association nationale des scientifiques pour l'usage de la langue française" (ANSULF) qui s'exprime dans le bulletin "La science en français". Je viens d'en relire quelques numéros. Aucun doute : l'ANSULF ne conteste pas la nécessité de publier de temps en temps en anglais : elle ne combat que les excès, notamment les colloques organisés en France, où la seule langue admise est l'anglais et l'évaluation des chercheurs par un "citation index" vendu par une société privée américaine !

    La conviction et le charme de Pajaud rallient à l'ANSULF quelques étoiles encore scintillantes de la science, tel le physicien Alfred Kastler, prix Nobel, ainsi qu'André Turcat, premier pilote français du Concorde. Mais les carriéristes et les étoiles montantes jugent le combat perdu d'avance et n'adhèrent pas. Finalement, après dix ans d'efforts, l'ANSULF plafonne aux alentours de 200 membres. S'étonnera-t-on de n'y trouver aucun des géologues qui, durant cette période ou plus tard, furent admis à l'Institut ?!

    L'UFG qui, apparemment sans complexe, ne publie qu'en français, peut être fière d'avoir compté parmi ses membres l'animateur de ce combat. Après lequel notre ami écrivit un ouvrage rigoureux de taxinomie bionaturaliste en deux tomes (1989 et 90), honoré par un prix de l'Académie des sciences en 1991. Il se réfugia ensuite dans la poésie : sa Phoronis, la porteuse de rêves (1990), est un superbe recueil subtilement illustré par Michel Toyer, qui dessina jadis avec humour de petits bonshommes-géologues pour notre revue.

    Durant les mois d'incertitude douloureuse sur l'issue de son mal Daniel dut suspendre la préparation d'un essai sur la prosodie française, mais il eut encore la générosité d'écrire à quelques amis pour les encourager à sortir leurs propres oeuvres.

    Désirera-t-on s'immerger dans le milieu où la pensée et la sensibilité esthétique de Daniel Pajaud se sont modelées? Alors on revisitera, dans le sous-sol de P. et M. Curie, la petite mais très belle exposition de fossiles conçue par lui et dont son épouse Denise fut une cheville ouvrière et une hôtesse rayonnante.

Pierre Routhier ancien président (1987-1990)

pierrerouthier@chez.com

texte à paraître dans "Géologues" remis le 10.12.2003

NDLR. UFG Union française des géologues, publie la revue Géologues 4 fois par année, fait partie de la SGF

SGF Société géologique de France


Éditorial
Hommage à Daniel Pajaud, pionnier de la LISULF et de l'ANSULF.

par Pierre Demers

La larme à l'oeil et le vague à l'âme, j'évoquerai quelques souvenirs de ce que j'ai connu de Daniel Pajaud, de ce qu'il m'a laissé savoir de ses idées et de ses activités, car j'ai l'impression qu'il tenait à garder les distances. Notre collaboration aurait pu être beaucoup plus intense et fructueuse, pour mon bénéfice et peut-être pour le sien. Elle resta incomplète. Mais on ne change pas le passé.

    Il eut, comme nous de la LISULF, de bien grands espoirs, et un quart de siècle plus tard, nous n'avons pas progressé d'un centimètre sur le chemin des réalisations. Du moins avons-nous affirmé la volonté de quelques scientifiques de vivre en français leur vie professionnelle publique.

    Daniel Pajaud fut pour moi un camarade de la première heure, qui fit confiance aux projets des fondateurs de la LISULF en 1979. Il me fut présenté en 1980 par Pierre Routhier, qui déclina la charge d'animer une section de la LISULF en France et désigna Daniel Pajaud pour la recueillir. C'était dans les locaux du Centre culturel du Québec à Paris, logé dans la bâtisse du Bon Marché. Une rencontre eut lieu dans un local de l'Université de Paris VI (un de ces locaux tapissés de poussière d'amiante) où des membres convergèrent d'aussi loin que Bordeaux. Il y eut cent membres en France et l'ardeur LISULF du début allait se continuer et porter bientôt, par le choix des Français, un nom nouveau : ANSULF Association nationale des scientifiques pour l'usage de la langue française.

    L'ANSULF continua ses activités jusqu'en 1988. Cette année-là. Daniel Pajaud cessa de l'animer et personne ne le remplaça. Ce qui s'était passé exactement n'a jamais été élucidé tout à fait. Apparemment il y avait un manque d'intérêt blessant des pouvoirs publics et un refus de subventionner, même modestement, le fonctionnement de l'ANSULF. Il y avait le nombre restreint des effectifs. Mais il semble surtout, d'après les rares confidences auxquelles j'ai eu droit de sa part, qu'il ait vécu une carrière pénible dans l'Université Paris VI Pierre et Marie Curie sous la direction qui lui était imposée. Une fois, en verve de confidence, il m'a dit : "Ce qui marche le mieux pour moi, malgré les apparences, c'est l'aspect langue française; alors tu peux juger comment marchent les autres aspects recherche scientifique et carrière." On s'explique qu'il ait choisi d'orienter son activité selon ses propres critères.

    Un de ses voisins de bureau était Claude Allègre, géochimiste, auteur à succès, qui s'est fait connaître comme chroniqueur dans une revue à grand tirage (L'Express)? que Science et Francophonie eut l'occasion de critiquer et comme ministre de l'Éducation nationale pendant quelques années, entré à l'Académie des sciences en 1995.

    La production scientifique de Daniel Pajaud fut pourtant importante, comme nous l'apprend, à moi entre autres, Pierre Routhier dans sa notice du présent numéro. Il a publié (en français) une centaine de notes originales.

    Et c'est ainsi qu'il se détourna des sciences et de la politique de la langue française, dans les peu nombreuses années de retraite qu'il a eues, au bénéfice des lettres et des belles-lettres classiques!

    Il laisse le souvenir d'un homme de science accompli, d'un intellectuel fidèle à sa vocation. Sa carrière tout entière est un témoignage à la primauté de la langue française et elle a contribué à appuyer l'action de la LISULF.

•    On regrette profondément que l'amiante, minéral qui fit un peu de la fortune et de la fierté du Québec, ait été à l'origine de sa mort. Ce minéral avait été soufflé inconsidérément sur les parois des locaux de l'Université Paris VI Pierre et Marie Curie, hâtivement bâtie sur l'emplacement de l'ancienne Halle au vin après la Libération de 1945. - On sait qu'il y a amiante et amiante, mais c'est là une autre histoire.

•    En cherchant sur internet, on trouve de nombreuses références à ses publications et ses activités.


Notice. Daniel Pajaud (1934-2003)

Par Christian C. Emig, Université de Marseille

Reproduction du document internet : www.com.univ-mrs.fr/EuroBrachNet/ANNONCES/OBITUARIES/ Pajaud.htm

Avec l'autorisation de l'auteur.

    Daniel Bernard PAJAUD est né le 21 décembre 1934 à Paris où il a poursuivi toute sa carrière. À la sortie de l’Ecole Normale, il devient instituteur (1954-1958), puis professeur en sciences naturelles (1959-1961). Entre 1961 et 1963, il fit le service national dans le Génie militaire en Allemagne, puis au Service atomique de l’Armée en France et en Algérie.

    En 1963, il entra à l’Université, d’abord à la Sorbonne, puis à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) où il enseigna les Sciences de la Terre, et la paléontologie en particulier, comme Maître de Conférences. Il prit sa retraite le 1er septembre 1998.

    Sa thèse doctorale soutenue en 1967 fut publiée en 1970 sous le titre " Monographie des Thécidés (Brachiopodes) ". Outre une centaine d’articles et ouvrages de spécialité en sciences de la Terre, Daniel a beaucoup œuvré pour la vulgarisation en rédigeant lui-même de nombreux articles et un album de vulgarisation scientifique, mais aussi assuré la traduction et l’adaptation française d’une dizaine d’ouvrages étrangers de vulgarisation. Le prix Millet-Ronssin de l’Académie des Sciences vient couronner en 1991 ses deux ouvrages sur la Taxinomie bionaturaliste.

    Dès 1976, il créa et anima une salle d’exposition de fossiles à l’Université Pierre et Marie Curie ; sa femme Denise fut une des chevilles ouvrières de la remise en état de l’immense collection de paléontologie de cette université.

    En 1981, Daniel fonde l’ANSULF (Association nationale des scientifiques pour l’usage de la langue française) dont il restera le président fondateur. Il a toujours été un ardent défenseur de la francophonie ce qui lui valut de devenir membre de l’ordre des francophones d’Amérique en 1989. Il rédigea une trentaine d’articles et enquêtes sur le français dans les sciences. En 1993-1994, il fut consultant pour la préparation de la loi sur l’emploi de la langue française par l’Assemblée internationale des parlementaires de langue française. Depuis 1980, il fut aussi membre de comités rédactionnels, rédacteur en chef ou directeur de publication de plusieurs revues professionnelles.

    Daniel était aussi un poète, plusieurs fois lauréat de prix de poésie ; en 1990, il publia Phoronis, la porteuse de rêve, recueil de poèmes, illustr. Toyer, 186 p. (Lachurié Ed. Paris), deux pièces de théâtre, et il laisse sur sa table de travail un inédit essai sur la prosodie de langue française.

    Tôt, le matin du 13 novembre 2003, Daniel nous quitta, terrassé par l’amiante du Campus de Jussieu... et il repose en paix à Saint-Jean-de-Fos dans le département de l’Hérault, là où il avait choisi lui-même de venir s’installer à la retraite.

Avec lui, je perds plus qu’un ami, un frère, chez lui j’étais aussi chez moi, et nos positions parfois, pour ne pas dire souvent, contradictoires et nos discussions enflammées loin d’altérer nos relations ont été le ferment de notre amitié.

Alan Logan, paléontologue du Nouveau-Brunswick au Canada, lui a dédié le genre actuel Pajaudina.
Logan, A., 1988. Brachiopoda collected by CANCAP IV and VI expeditions to the south-east North Atlantic. 1980-1982. Zool. Med., Leiden 62 (5), 59-74.