Science et Théologie : quelques bases pour renouveler le débat
Christian C. Emig *
[Résumé]
Version
La controverse « science et foi » ou « science et religion » agite régulièrement les milieux religieux et scientifique, avec des débats généralement houleux aux points de vue radicaux, soigneusement entretenus et maintenus par des partisans « intégristes » de l’un et de l’autre bord. Or, les termes foi [1] et religion [2] sont inopportunément utilisés puisque pouvant se situer dans les deux camps, d’autant que nous ne sommes plus aujourd’hui dans une perspective d’exclusion systématique entre foi et raison (Geffé, 2006). En fait, la dichotomie se fait entre Science et Théologie et, d’après les définitions données par le Trésor de la Langue Française Informatisé (CNRS, 2002), on en déduit qu’il s’agit d’une confrontation entre deux sciences qui interviennent, moins qu’on ne peut le penser, dans des contextes différents.
- Sous le terme Science, nous comprendrons les sciences naturelles sensu lato, aussi dites sciences dures (biologie, écologie, physique, chimie, géologie…) sous leur seule forme fondamentale, c’est-à-dire orientées vers l’étude et la recherche de la seule connaissance, donc à l’exclusion de la science appliquée et de la technologie qui proposent un savoir-faire [3]. Cette Science est définie comme « l’ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits obéissant à des lois objectives (ou considérés comme telles) et dont la mise au point exige systématisation et méthode ».
- La Théologie [4] est la « science de Dieu, de ses attributs, de ses rapports avec le monde et avec l'homme ». Dans les religions chrétiennes, cette science est globalement fondée sur la Révélation et la Tradition.
- Science et Théologie répondent aussi à une autre définition de la science, c’est-à-dire « la somme de connaissances qu'un individu possède ou peut acquérir par l'étude, la réflexion ou l'expérience ».
La Science, de par la connaissance qu’elle génère et le savoir qu’elle diffuse, est devenue un des fondements primordiaux de la Théologie. En effet, dans la Bible elle-même, Paul aux Corinthiens 1, 15 : 46 [5] écrit « Mais ce qui est spirituel n'est pas le premier, mais ce qui est animal ; ensuite ce qui est spirituel ». Parce que cette succession n’est que rarement respectée, il y a parfois controverse avec des résultats scientifiques quand ils viennent infirmer ou contredire des « écrits dits sacrés » (qu’ils soient bibliques ou coraniques), des dogmes religieux, ou encore des croyances populaires religieuses. Le rationnel de la Science représente ainsi la base, au-delà de laquelle se situe le spirituel de la Théologie. Adopter cette démarche a un corollaire qui oblige à une refondation continuelle de la Théologie avec l’accroissement des connaissances scientifiques. Il est utile de faire un très bref rappel historique sur l’origine et le développement de la Science et d’y inscrire la Théologie (voir aussi dans la partie Science et Dieu).
Ce que nous appelons « Science » n'existe que depuis le XVIIe siècle, issue d'une transformation de la pensée occidentale (incluant la pensée religieuse). C'est au cours du XVIIIe siècle quand la Science a commencé à acquérir un pouvoir intellectuel et social, qui progresse encore aujourd'hui, qu'elle s'est posée en rivale des Églises chrétiennes. Ainsi prit naissance le conflit entre la Théologie et la Science, qui devint polémique durant le XVIIIe et XIXe siècle. Les principaux responsables furent les théories sur l'Evolution, s’appuyant sur des courants de pensées scientifiques initiés principalement par le Suédois Linné (1707-1778), les Français Lamarck (1744-1829) et Cuvier (1769-1832), et plus proche de nous par l’Anglais Darwin (1809-1882).
Avec le développement des connaissances au XXe siècle et les immenses succès de la biologie moderne, les certitudes de la Science l'emportent sur la lettre des textes sacrés. Pourtant, aujourd'hui encore, en ce début du XXIe siècle, les vieilles mentalités subsistent : tous les croyants n'acceptent pas de considérer la Genèse comme un mythe, et beaucoup de scientifiques gardent une hostilité de principe à l'égard de toute forme de pensée religieuse.
C'est Platon qui fut le premier à utiliser le mot théologie[4] pour désigner la recherche de Dieu ou de dieux par la voie du logos et qui a instauré la théologie comme l’approche rationnelle du problème de Dieu. Aristote est le premier à spécifier, à délimiter un savoir théologique. Pour lui, la théologie est la plus haute des sciences théorétiques, c’est-à-dire celles qui ont pour objet la connaissance, qui vise à la connaissance ; ce sont la mathématique, la physique, la théologie par opposition aux sciences poétiques et pratiques. Aujourd’hui, la Théologie est une science qui relève du modèle des sciences herméneutiques, c’est-à-dire celles qui ont pour objet l'interprétation des textes religieux ou philosophiques, en particulier des Écritures saintes et les textes sacrés, et d'en expliquer le vrai sens. Il faut maintenant y ajouter l’étude des écrits scientifiques les plus récents pour l’exégèse de ces Ecritures et textes, ce qui donne aux théologiens des moyens herméneutiques dont ne disposaient pas la génération précédente. C’est avec un dialogue direct et constant avec la Science et la philosophie que pourra se poursuivre une actualisation constante du message théologique (Roger, 2005), car les retombées cognitives de la Science se traduisent par de nouvelles visions du monde et interfèrent nécessairement avec le spirituel. Par-delà les divergences et clivages entre religions et entre Eglises, l'indifférence religieuse croissante d'une société de plus en plus sécularisée, mais aussi le foisonnement croissant de nouvelles lectures de la Bible dans une exégèse élargie, dont l’orientation politique est de moins en moins absente, la Théologie doit aujourd’hui de plus en plus évoluer en intégrant à chaque instant les éléments nouveaux du monde actuel. Pour cela, il conviendra de s’éloigner de la tradition séculaire des religions, basée sur un discours et une vision sur un dieu anthropocentré, pour innover dans une théologie prenant pour fondement le Dieu Créateur et Dieu Tout-Puissant.
La théologie traditionnelle (Coyne, 2002 ; Maldamé, 1996) reconnaît que Dieu est toujours à l'oeuvre dans le monde, mais elle réserve généralement le terme de Création pour désigner la première action primordiale qui a donné naissance à l'univers ex-nihilo (Nouis, 2001). Or, la théologie du Process rejette la création ex-nihilo et refuse l’omnipotence de Dieu tout en affirmant que « Dieu est dans le monde et que le monde est en Dieu » ce qui s'enracine solidement dans la tradition biblique (Barth, 1960 ; Cobb, 1969 ; Gounelle, 1981). Cette théologie intègre aussi la connaissance scientifique et cherche donc à tenir compte des hypothèses actuelles de la recherche. Dans la théologie fondamentaliste, l’écriture est dans littéralité de la Bible, c’est la parole même de Dieu : ainsi, considérant l’objectivité des faits décrits dans la Bible, celle-ci peut résister à l’épreuve scientifique, car elle est infaillible en tous les domaines (Geffé, 2006). À l’opposé, la théologie apophatique ou négative remonte à Denys l’Aréopagite (premier évêque d'Athènes) et découle naturellement du néo-platonisme, l'essence de Dieu étant par définition inconnaissable. Cet Au-delà de Tout, cet « Un », l’« Être », le Theotes, ne peut supporter aucune définition, aucun qualificatif humain et n’être abordé par aucun concept que l’intelligence humaine puisse élaborer. Selon Corbin (1981), seule une théologie apophatique pourra résoudre le mystère de l' « Être ». Les théologies apophatiques ne sont pas agnostiques, mais bien mystiques et s’appuient sur deux convictions : - pour l’homme moderne, Dieu ne peut avoir de réalité, et - Dieu n’est pas essentiel à l’Evangile (Ford, 1978). Définir Dieu par un néant suressentiel a influencé la théologie mystique médiévale, comme celle de Thomas d'Aquin (1228-1274) ou de Maître Eckhart (1260-1327).
Les propositions théologiques explicitant la notion de Dieu et sa présence dans le monde sont vraies si elles sont compatibles avec les connaissances scientifiques, car elles ne peuvent pas être mutuellement incompatibles. Dieu ne peut être réduit au seul sens que l'homme veut bien lui accorder. C’est donc au théologue exégète de toujours se soucier de la pertinence du texte pour l’aujourd’hui de la vie.
Si le mot « Dieu » désigne la réalité mystérieuse que les hominidés cherchent à tâtons depuis leurs origines, la fonction théogénique, c’est-à-dire dont l'origine renvoie à l'homme lui-même, dépasse à la fois la Science et la Théologie.
La Science décrit des faits établis et propose des hypothèses réunies sous forme de théories, toutes basées sur les résultats scientifiques qui ne sont jamais considérés une vérité absolue. Hypothèse ou théorie sera remplacée demain par une nouvelle : c’est un renouvellement continue des connaissances avec leur remise en cause. Cette « incomplétude » est la base même de la recherche scientifique, permettant à cette dernière d’évoluer en se fondant sur les connaissances précédentes.
La pensée scientifique depuis sa création, dans la Grèce antique, au VIe siècle avant notre ère est imprégnée d’idées d’essence religieuse. À cette époque, les philosophes grecs ont postulé l’existence d’un principe d’organisation fondé sur un dessein rationnel (tel le démiurge de Platon ou le moteur non-mû d’Aristote) se traduisant par comprendre la nature, c’est comprendre Dieu !
Avec l’avènement de la Science moderne au XVIIe siècle, cette tradition a ressurgi en Occident. Tous les savants de la « révolution copernicienne », tels Copernic, Bruno, Galilée, Kepler, Newton, étaient à des degrés divers imprégnés de religion qui était alors une force motrice de l’inspiration scientifique. Cette période a révélé, tardivement certes, que la théologie ne peut faire abstraction de la connaissance scientifique et de son évolution.
Proche de nous, au XXe siècle, c’est la question des origines et de l’évolution de l’homme et de l’Univers qui revient dans les préoccupations des scientifiques, en essayant de démontrer que la Création n’a pas besoin d’avoir recours à un dieu créateur. Ces dernières années, cette interrogation, mue par une quête sociétale, a connu un regain d’intérêt. La nécessité rationnelle d’un principe transcendant ne suscite pas la foi, mais rend crédible le Dieu-Créateur qui ne peut être ignoré par les scientifiques. Capable de formuler l'idée de Dieu, la science ne peut en déduire son existence : c’est le cas avec la découverte d’un nouveau niveau scientifique qui se situe « hors du temps-espace-énergie-matière » et correspond à ce qui pouvait avoir exister avant le « big-bang » [6] de notre univers. Cette nouveauté infirme l’imagination des théologiens qui décrivent cette phase comme le chaos, néant et autre tohu-bohu, extrapolant le verset 2 de Genèse I : « La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux », mais rend envisageable, voire plausible, l’existence du Dieu Créateur (Emig, 2006).
L’information contenue dans la science, notamment le rôle et l’importance de l’entropie [7], est partie de la révélation du Dieu Créateur et de sa création originelle : voir Dieu dans l’Univers est une notion qui évolue avec la connaissance scientifique. Parler de Dieu en faisant triompher l'affirmation ou en privilégiant la négation demeure au cœur de la pensée scientifique et philosophique occidentale pour qui l'Esprit est la plus haute définition de l'absolu. Le christianisme n'a d’autres contenu que celui qui donne Dieu à connaître comme esprit. Mais quel dieu ?
Le dieu des hommes est un dieu anthropomorphique, non seulement en ce qu'il exprime le sentiment que ces hommes ont de leur dignité, de leur valeur, de leur action, mais aussi en ce que l’idée de ce dieu est construite avec les moyens de leur seul entendement, fondée sur leurs schèmes, principes et postulats qui varient selon les religions et les zones géographiques. L'homme, pour apaiser son besoin religieux, réclame un Dieu qui soit un « Toi », avec lequel il puisse entrer en échange d'amour : il sera appelé Yhwh (Yahvé), Dieu, Allah, respectivement par le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, comme si chacune de ces religions avait son propre dieu.
L'existence d'un être suprême, créateur du monde, n'est pas contradictoire avec l'existence de ces dieux anthropocentrés, mais ce Dieu Créateur est « neutre », pas à l'image de l'homme, distinct de la réalité de l'homme qui n'est pas la finalité de la création, il n’est même pas une étape nécessaire à l’évolution de la Création : qu’en sera-t-il de cet homme dans un milliard d’années ? Ce Dieu Créateur n’est pas non plus en opposition avec la proposition de Robespierre du 18 floréal de l'an II (7 mai 1794) que la Convention, adopta par acclamation, à savoir l'article 1er : « Le peuple français reconnaît l'existence de l'être suprême et de l'immortalité de l'âme. »
Dans une approche scientifique, ce sont les acquisitions de la Science qui devraient permettre un approfondissement du concept du Dieu-Créateur par la Théologie. Ce Dieu est de l’ordre de la « révélation » scientifique, car il n’est que partiellement contenu dans la Bible mais entièrement dans la Science comme l’atteste l’universalité des lois naturelles, qui régissent tout l’univers. La transcendance du Dieu Créateur est dans ces (ses ?) lois (qui sont elles-mêmes divines), auxquelles il est lui-même soumis à l’instant même de la Création de l’univers, qui n’est pas ex-nihilo, car des lois physiques existaient avant la Création, antérieurement à notre Univers. Le Dieu Créateur est entropie, et comme il le dit dans la Bible au chapitre de l’Apocalypse : « je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier », c’est-à-dire la naissance et la mort l’éternité n’existe pas selon le deuxième principe de la thermodynamique (Prigogine & Stengers, 1988). C’est le rejet de l’omnipotence de Dieu, ni éternel, ni absolu, mais « entropiquement » dans le monde. L'irréversibilité de la Création et de son évolution est olam (terme hébreu) dans le sens de l'accomplissement d'un événement dans un temps donné (Emmanuel, 1971 ; Blocher, 1979) qui est de l'alpha à l'oméga.
Indéterminisme ou hasard ne s’applique qu’à des parties que la Science n’a pas encore étudiées ou qu’elle ne sait pas encore analyser, donc expliquer. Se servir de ces termes en Science est une affirmation philosophique qui dépasse largement les limites scientifiques. Hasard et prévisibilité ne « s'entre-excluent » pas. D’après Prigogine & Stengers (1988), le rôle du hasard dans l'apparition de la vie est très restreint avec un choix réduit entre diverses possibilités (non pas comme Jacques Monod le pense un choix purement aléatoire). Ceci est compatible avec la vision d'un Univers déterministe dont l'existence renvoie à Dieu.
Tout concourt à une nécessaire réconciliation entre Science et Théologie, d’autant que seule la Science permet la prise de conscience de l’homme face à son environnement, de démontrer combien limitée et modeste est sa connaissance face aux lois du Dieu Créateur qui régissent tout l’Univers, de mesurer l’arrogance socio-économique de ce prédateur de la nature qu’est devenu l’homme au point de mettre sa propre survie en question.
Science et Théologie ne sont antagonistes que dans la quête spirituelle de l’homme, et leur confrontation, parfois jusqu’au burlesque, n’a lieu que sur la question de l’existence de Dieu. Pourtant, l’interrogation par les scientifiques de l’existence d’un Dieu Créateur déstabiliserait à la fois les théologiens et les scientifiques eux-mêmes. Le sens d'une telle interrogation ne se démontre ni se réfute, il est affaire de conviction : c'est en tant que tel qu'il doit intervenir dans les controverses entre scientifiques et théologiens. Mais la conviction n'est pas pour autant arbitraire et pourrait être demain une nouvelle cohérence de la Science, car, curieusement la réponse à cette existence divine pourrait bien venir de la Science qui remet continuellement en question les doctrines religieuses. Aussi, l’approche du Dieu Créateur doit se faire avec beaucoup d’humilité, en somme scientifiquement. Nul n’est à même aujourd’hui de défendre une conviction plutôt qu’une autre : « Croire ou ne pas croire » résonne depuis l’aube de la civilisation humaine dans la nature déifiée. La Science se retrouve aujourd’hui, avec la puissance d’Internet, dans une situation semblable à celle, pour l’époque, de l’invention de l’imprimerie, en 1440 : la diffusion instantanée des nouvelles idées et connaissances, avec débat sur la place publique, aujourd’hui agora mondiale. Et à cause et pour cela, la Théologie doit se définir par un langage rigoureux, non réduit au simple langage religieux, en s’affranchissant des doctrines et dogmes d’une religion ou des religions.
Science et Théologie partagent des similitudes. Toutes deux incluent une approche globalisante de la compréhension du monde qui dépasse leur propre démarche spécifique et ni l’une ni l’autre ne peuvent prétendre à une vérité absolue. Ni l’un ni l’autre ne sont à l’abri d’une dominance idéologique, ou ne faudrait-il pas inverser la phrase ! La rigueur intellectuelle est pareille pour les théologiens dans l’étude des textes que pour les scientifiques dans l’élaboration des hypothèses et théories. Pour connaître, analyser, expliquer ou interpréter, objectivité et subjectivité, rationalité et intuition se retrouvent, certes avec des démarches différentes, et comme dit le philosophe Karl Popper « tout fait ou observation est imprégné de théorie » : ceci est valable pour un scientifique comme pour un théologien
C’est quand les modèles bibliques et coraniques sont contredits par les connaissances scientifiques, que l’affrontement avec les théologiens commence. C’est pourquoi la théologie aujourd'hui ne peut plus se contenter d’être seulement une « science de la foi », donc ne justifier et n'expliquer que les énoncés traditionnels de la foi, mais elle doit se livrer à une relecture herméneutique de sa propre tradition afin que le message monothéiste soit fonction des interrogations de la pensée contemporaine (Poulain, 2005).
La révélation du Dieu Créateur dépasse la seule période de vie de l’homme moderne (Homo sapiens). Car il y a eu des espèces humaines avant la nôtre et il y en aura d’autres après. Nous ne sommes pas une espèce animale singulière, mais une espèce parmi les autres et un hominidé parmi les hominidés, même si Homo sapiens a quelques caractères spécifiques que d’autres espèces n’ont pas, mais qui n’en sont pas moins des caractéristiques animales !
Les résultats de la science remettent en cause certains textes fondateurs des religions, basés sur des interprétations parfois millénaires. Aux théologiens de revoir la copie de textes écrits il y a quelque 1500-2000 ans à commencer par la notion de création, confondue avec celle d’évolution. Il est indispensable que les données scientifiques les plus récentes quand elles sont utilisées par des théologiens le soient sans interprétation subjective, sans tronquer les connaissances, sans pseudoscience, ni antiscientisme (Blocher, 1979). Par exemple, le darwinisme, une théorie pourtant obsolète scientifiquement, continue à être véhiculé et discuté, voire combattu par les évangélistes créationnistes qui, la Bible à la main, se posent en concurrents des scientifiques (Morris, 1974). Ou encore l’Ecologie, en tant que science, est un bon exemple d’un certain désarroi religieux face aux lois de la nature, car rien dans la Bible n’y fait relation. Toutes les tentatives, comme le développement d’une « théologie écologique » notamment en Allemagne et en Suisse (Schäfer-Guignier et al., 1988 ; Schäfer-Guignier, 1990), ont échoué, car elles n’ont traité que d’environnement, jamais d’écologie. Pour proposer une alternative fondée sur le respect de la nature, il faudra réfuter toute argumentation anthropocentrée et mondialisée d’une humanité qui n’existe pas comme un tout, mais en remettant l’homme à sa place dans la Nature sans le statut de privilégié développé depuis des millénaires par la culture judéo-chrétienne.
Le cheminement théologique ne commence qu’après, au-delà du rationnel scientifique. Le scientifique qu’il soit croyant ou non apporte sa connaissance scientifique au théologien : la Théologie ne peut se désintéresser et encore moins ignorer le monde scientifique. Sinon on pourrait se demander si la Théologie est autre chose que la branche idéologique des religions et si elle a un statut scientifique suffisant pour pouvoir dialoguer avec la Science. D’autant que le rôle traditionnel de la théologie dite dogmatique est contesté par une exégèse scientifique de plus en plus sûre d'elle-même et par les connaissances scientifiques de l'Agir chrétien. La Science donne la connaissance à l’homme c’est pour cette dernière qu’Adam et Eve ont été chassés du jardin d’Eden après avoir mangé la pomme : « tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Genèse 2 : 17) et « Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Genèse 3 : 5). La condition de mortel, Dieu l'a prédite à Adam, mais Dieu sait aussi qu’elle s’applique à lui-même. À l’instant même de la Création est né le temps : avec lui sont apparues la naissance et la mort et a disparu l'éternité (Emig, 2006).
Parce que l’argument d’autorité n’a pas sa place dans la recherche scientifique, l’approche du Dieu Créateur ne peut se restreindre à la seule Théologie, mais doit solliciter l’éventail complet des connaissances scientifiques et spirituelles. La tâche ne sera pas facile à cause des résistances que soulèvent depuis des siècles les travaux scientifiques quand ils interférent avec le religieux. Les avancées quotidiennes de la Science remettent toujours en question des acquis, malgré la part d’incomplet, d’incertain, d’imprévisible, d’indéterminé, loin des certitudes énoncées par les religions. Nous savons que la Science ouvre à plus de questions qu’elle n’en résout. Aussi, les acquis de la Science génèrent régulièrement des oppositions ecclésiales, par exemple la décision 25 du Synode National 2000 de l’Eglise Réformée de France concernant la seule brevetabilité du génome humain. Or, le génome de tous les êtres vivants, animaux et végétaux, appartient au patrimoine de l’univers et tous les génomes ont, de par les lois de la nature, la même importance, même si, selon Genèse 1 : 26, « Yhwh dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. »
Le questionnement éthique et sociétal sur un thème scientifique doit se faire quand la recherche est en cours, avant que les résultats ne soient susceptibles de migrer vers la technologie : pour le génome et les OGM, c’est à la fin des années 70 début 80 qu’il aurait fallu s’interroger, alors que les scientifiques se posaient déjà les questions que personne n’écoutait. Aujourd’hui pour le changement climatique, nous avons déjà 10 ans de retard. C’est maintenant que les interpellations doivent se faire sur les nanotechnologies, demain il sera trop tard. Il est indispensable de réduire le décalage dans le temps (souvent estimé à une vingtaine d’années !) entre résultat scientifique publié, son entrée dans le savoir du public, et le questionnement sociétal et théologique.
Parce que le Dieu-Créateur se situe en-dehors des valeurs traditionnellement considérées comme essentielles dans les héritages religieux à la fois judéo-chrétiens et islamiques, Science et Théologie se doivent d’être innovatrices ensemble, comme le rappelle Paul Ricoeur « une tradition n’est vivante que si elle permet d’innover. » Ceci vaut pour la Science et la Théologie, aux scientifiques de bien expliciter les théories pour éviter les controverses sur l’interprétation des faits et aux théologiens de faire l’effort de les comprendre et de les admettre dans leur rationnel scientifique.
Oscar Wilde écrivait : « une religion meurt quand il est prouvé qu’elle est vraie. La science est le recueil des religions défuntes ». Cela implique que la Théologie n’est pas là pour « combler » les lacunes scientifiques, mais une force motrice dans l’orientation scientifique tout comme la Science est une nécessité à l’évolution de la Théologie et de la spiritualité humaine. Science et Théologie sont complémentaires dans une partie de leurs démarches respectives, contrairement à l’incompatibilité trop longtemps entretenue (Theissen, 1984). Le rationalisme et le laïcisme qui s'en défendent ont eux-mêmes une mémoire théologique.
Einstein a dit « ma religion consiste en une humble admiration pour l’Esprit supérieur dont la puissance se révèle jusque dans les plus petits détails à notre esprit faible et limité. L'idée que je me fais de Dieu, c’est cette conviction profonde d’une intelligence supérieure qui est à l’œuvre dans l’Univers ».
Dans le Coran, Mahomet écrivait : « Parmi ses serviteurs, seuls les savants craignent Dieu » (Coran 35 : 28 - al Fatir), car ils savent que Dieu est dans la Science.
Barth Karl, 1960. Dogmatique III, 1. Labor et Fides, Genève, 465 pp.
Blocher Henri, 1979. Révélations des origines. Le début de la Genèse. Presse Bibliques Universitaires, Lausanne, 243 p.
Centre National de la Recherche Scientifique, Trésor de la Langue française Informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlfv3.htm (2002).
Cobb John B., 1969. God and the World. The Westminster Press, Philadelphie.
Corbin Henry, 1981. "De la théologie apophatique comme antidote du nihilisme," conférence donnée à Téhéran en 1977 et publiée dans : Le paradoxe du monotheisme. Editeur Herne, París.
Coyne George, 2002. Religion et science: Tradition et actualité. Connaître, Janvier-Février, p. 29-35.
Emig Christian C., 2006. Science et Théologie : quelques bases pour renouveler le débat. In : 131e Congrès National des Sociétés Historiques et Scientifiques : Traditions et Innovation (Grenoble, 2006). Recueil des Résumés des communications, CTHS, Paris, p. 90-91. Emig Christian C., 2008. La naissance du temps et ses conséquences. In : Penser le temps... Collection orientations et méthodes, 11, p. 51-62. Éditions du CTHS, Paris
Emmanuel, 1971. Pour commenter la Genèse. Payot, Paris 391 p.
Ford Lewis S., 1978. The lure of God. Forthress Press, Philadelphie,.
Geffé Claude, 2006. De Babel à Pentecôte. Essais de théologie interreligieuse. Editions du Cerf, Paris.
Gounelle André, 1981. Le dynamisme créateur de Dieu. Essai sur la théologie du Process. Etudes théologiques et religieuses, HS,192 p.
Maldamé Jean-Michel, 1996. Evolution et création. Revue Thomiste, 4.
Morris Henry M., 1974. Scientific creationism. Creation-Life Publishing, San Diego,.
Nouis Antoine, 2001. L’aujourd’hui de la Création. Réveil Publications, Lyon, 308 p.
Poulain Jacques, 2005. Théologie : Analyse du langage théologique. Encyclopaedia Universalis, 5 p.
Prigogine Ilya & Stengers Isabelle, 1988. Entre le temps et l'éternité. Fayard, Paris,.
Roger Jacques, 2005. Science et Christianisme. Encyclopaedia Universalis, 7 p.
Schäfer-Guignier Ottto, 1990. Et demain la terre… Christianisme et écologie. Labor et Fides, Genève.
Schäfer-Guignier Ottto, Stückelberger Christoph, Keller Max & Mettner Matthias (eds), 1988. Schöpfungstheologie gegenwärtiger Stand und zukünftige Aufgaben. Studientagung in Zusammenarbeit mit det Paulus-Akademie Zürich, 54 p. (OeKU-COTE-CECA, Bern).
Theißen Gerd, 1984. Biblischer Glaube in evolutionärer Sicht. Kaiser, München.
Notes :
[1] La foi est l’Adhésion ferme et entière de l'esprit à quelque chose; en partic., croyance assurée à la vérité de quelque chose : par exemple, foi politique, philosophique, religieuse (Trésor de la Langue française Informatisé CNRS). La foi religieuse est de la surnature de l’homme, car irraisonnable et irrationnelle : elle est croyance en une relation à Dieu et à lui seul.
[2] La religion est le « rapport de l’homme à l’ordre divin ou d’une réalité, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales » (Trésor de la Langue française Informatisé CNRS).
[3] Il faut éviter la confusion ou collusion entre ces deux sciences, car elle existe dans l’esprit de théologiens, de politiques, de décideurs ou d’experts. Il faut faire la différence entre démarche scientifique dont la finalité est l’avancement des connaissances et l’application technique qui en est le prolongement socio-économique. Un exemple : au moment de son invention en 1960 par le physicien américain Théodore Maiman, le rayon LASER n’avait aucun intérêt pratique, ni économique. Certaines disciplines ont des frontières plus difficiles à cerner comme la médecine, la génétique… et il faut donc être particulièrement attentif pour ne pas faire des amalgames.
[4] Etymologiquement, « théologie » signifie discours ou propos sur Dieu, sur les dieux.
[5] Les traductions de la Bible consultées sont celles de Louis Segond, Darby et Osterwald, grâce au logiciel Biblia Universalis 1.5.3 (version Mac).
[6] Le Big-Bang n’a probablement jamais existé tel que les théories physiques actuelles le supposent ; tout comme notre univers n’est probablement pas unique selon la théorie basée sur la deuxième loi de la Thermodynamique.
[7] Le terme entropie, proposée en 1850 par le physicien R. J. Clausius (1822-1888), est littéralement dérivé du mot grec « εντροπη » , à savoir « action de se retourner » pris au sens de « action de se transformer », ce qui en biologie signifie « évoluer ». À l'origine, le mot entropie fut utilisé pour désigner la quantité d'énergie qui ne peut se transformer en travail. L’état de désordre d’un système est croissant dans une structure dissipative. Ce désordre n’est pas une absence d’ordre mais un accroissement de l’information dans un système.
|