Armoiries et généalogie de Martin Luther, réformateur
Christian C. Emig *
[Résumé]
Version
Armoiries de la famille Luther
Dans les Acta Lutherorum, il y a une feuille avec les armoiries annotée Sigismundi Imperatoris Augusti munus collatum anno 1413 [reçu en cadeau de l'empereur Sigismund en 1413] (Fig. 1). Ces Acta sont une collection unique de documents et de papiers, qui concernent la famille Luther, incluant ceux du réformateur Martin Luther (1483-1546) lui-même. Ce dernier connaissait ces armoiries, mais qu'il les ait utilisées ne peut être assuré. Ce sont les plus anciennes connues pour la famille.
Fig. 1. Feuille dans Acta Lutherorum avec les armoiries de Luther datées de 1413 par l'empereur Sigismund von Luxemburg (1368-1437) - cliquez dessus pour agrandir
Fig. 2. Armoiries Luther redessinées avec les couleurs selon le blasonnement décrit (dessin original).
Elles blasonnent : Parti - au premier de geules aux deux roses [d’argent ?] en pile, au second aussi de geules à une demi-arbalète d’or. Cimier : un Stechhelm (casque de la bourgeoisie) surmonté de deux cornes de gueules et d’or. Lambrequins de gueules et d’or (traduit de l'allemand, d'après Siebmacher, 1888).
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Fig. 3. Les armoiries a-c sont celles des fils de Martin Luther, selon les mentions de Siebmacher (1888 -voir extrait ci-contre) et de Hildebrandt (1876). Les armoiries anciennes (en d) sont représentées et blasonnées par Siebmacher (1888).
Ci-dessous : l'extrait de la p. 114 de l'Armorial général de Rietstap (1887). L'écu des armoiries en e a été redessiné selon les mentions de Rietstap (1887) et Siebmacher (1888); comme le mentionne Rietstap, il s'agit de celles d'un grand-oncle de Martin.
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← Rietstap
(1887, p. 114)
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Au début de 1530, le duc Johann der Beständige (1468-1532) [Jean Ier de Saxe dit le Constant ou l’Assuré *] avait demandé à Martin Luther de fixer la doctrine évangélique pour ses États et, en mars 1530, Luther, venu de la ville voisine de Wittemberg, avait rédigé avec ses collaborateurs Jonas, Melanchthon et Bugenhagen, la Confession de Torgau, la base de la Confession d’Augsbourg présenté trois mois plus tard au Reichtag. Le duc Johann fut un des principaux signataires.
Son surnom de « Constant » ou d'« Obstiné » souligne sa volonté de poursuivre la politique de son défunt frère qui avait favorisé le développement de la Réforme protestante. En effet en 1527, la confession luthérienne devient Église d'Etat dans ses possessions en Saxe. En tant que souverain de Martin Luther, le prince Johann a entretenu une relation très étroite, presque amicale avec le principal théologien protestant.
La Confessio Augustana ou Confession d'Augsbourg est un engagement fondamental des États impériaux luthériens envers leur foi, présentée à l'empereur Charles-Quint le 25 juin 1530 au Reichstag à Augsbourg. L’empereur convoque la diète d'Augsbourg de juin à novembre 1530, qui pose la question de la soumission des princes du Saint-Empire convertis à la réforme luthérienne.
Le 3 août 1530, les théologiens catholiques rédigent une réponse, la Réfutation. Charles Quint refuse d'entendre la réponse proposée par les réformateurs le 22 septembre. Il fait proscrire la confession par la Diète, où les députés catholiques se trouvent en majorité. L’épilogue sera dans les dispositions de la paix religieuse d'Augsbourg en 1555 avec un compromis fondé sur le fameux principe : cujus regio, ejus religio (« tel prince, telle religion »). Il signe l'échec de la politique d'unification sous la religion catholique de l'Empire, menée par l'empereur Karl V. (1500-1558) [dit en français Charles Quint].
Armoiries de Martin Luther
En 1519, Wolfgang Stöckel a publié à Leipzig un discours de Luther avec son sceau, une simple rose. Sur son anneau de doctorat était représenté un bouclier en forme de cœur, symbole du Saint-Esprit.
C’est en 1530, qu’il propose son propre sceau, Petschaft comme il l'appelle, qu'il décrit dans la lettre bien connue du 8 juillet 1530 à Lazarus Spengler à Nuremberg en réponse à une question de ce dernier pour pouvoir le fabriquer.
Une chevalière en or représentant ce sceau a été réalisée pour Martin Luther au cours de l'été 1530 sur ordre du prince électeur, devenu l'électeur de Saxe, Johann Friedrich des Großmütigen (1503-1554) [Jean-Frédéric le Magnanime, fils de Jean Ier], dans une orfèvrerie d'Augsbourg. Elle lui fut offerte par le prince le 14 septembre 1530, au retour de la Diète d'Augsbourg, en reconnaissance des services exceptionnels rendus par Luther. Petit détail, la bague à porter sur un gant fut trop grande pour la main de Luther.
Martin Luther en 1528, d'après un portrait de Lucas Cranach den Alte.
Les armoiries du réformateur sont représentées par Siebmacher (1857) et décrites par Rietstap (1887) (Fig. 3, 4) ; elles blasonnent : d’azur un cercle d’or contenant une rose d’argent, en son centre un cœur de gueules couvert d’une croix de sable. Casque Stechhelm (de la bourgeoisie) et lambrequins d'azur et d’argent.
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Fig. 4. Extrait de la p. 38 et de la Pl. 50 de Siebmacher (1857), avec blasonnement des armoiries (voir aussi Rietstap, 1887). Blason du réformateur Martin Luther (original) - voir Fig. 3 et explications sur le Tableau 1. |
Les meubles de l’écu sont devenus le symbole des églises évangéliques luthériennes (dont celle d'Alsace) sous le nom de «Rose de Luther » (Fig. 5). En effet, dans sa lettre datant de 1530, Martin Luther décrit sa rose comme un symbole de sa théologie. C’est une modification des armoiries familiales pour avoir un blason à valeur symbolique plus chrétienne. La diffusion de ce symbole date d'après 1530, contrairement à ce qui est souvent décrit ; aucun document mentionnant une adoption officielle à l'époque, ni plus tard, n'a pu être trouvé.
Fig. 5. Rose de Luther : symbole des églises évangéliques luthériennes - voir explication Tableau 1.
Tableau 1. Reproduction de la lettre de M. Luther du 8 juillet 1530 à L. Spengler (aussi en pdf ) et sa traduction en français. |
„ ...ein Merkzeichen meiner Theologie. Das erst sollt ein Kreuz sein, schwarz im Herzen, das seine natürliche Farbe hätte, damit ich mir selbs Erinnerung gäbe, daß der Glaube an den Gekreuzigten uns selig machet. Denn so man von Herzen glaubt, wird man gerecht. Ob’s nun wohl ein schwarz Kreuz ist, mortifizieret und soll auch wehe tun, dennoch läßt es das Herz in seiner Farbe, verderbt die Natur nicht, das ist, es tötet nicht, sondern erhält lebendig … Solch Herz aber soll mitten in einer weißen Rosen stehen, anzuzeigen, daß der Glaube Freude, Trost und Friede gibt, darum soll die Rose weiß und nicht rot sein; denn weiße Farbe ist der Geister und aller Engel Farbe. Solche Rose stehet im himmelfarben Felde, daß solche Freude im Geist und Glauben ein Anfang ist der himmlische Freude zukünftig, jetzt wohl schon drinnen begriffen und durch Hoffnung gefasset, aber noch nicht offenbar. Und in solch Feld einen goldenen Ring, daß solch Seligkeit im Himmel ewig währet und kein Ende hat und auch köstlich über alle Freude und Güter, wie das Gold das höchste, köstlichste Erz ist.“
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« ... une marque de ma théologie. Tout d'abord, il devrait y avoir une croix, noire dans le cœur, qui aurait sa couleur naturelle, pour que je puisse me rappeler que la foi au crucifié nous rend heureux. Parce que si vous croyez du fond du cœur, vous serez juste. Que ce soit une croix noire, elle mortifie et est aussi censée faire mal, mais elle laisse le cœur dans sa couleur, ne gâche pas la nature, c'est-à-dire qu'elle ne tue pas, mais la maintient en vie ... Mais un tel cœur devrait tenir au milieu d'une rose blanche pour indiquer que la foi donne la joie, la consolation et la paix, donc la rose doit être blanche et non rouge; car le blanc est la couleur des esprits et de tous les anges. Une telle rose se tient dans les champ couleur du ciel, qu'une telle joie en esprit et en foi est le début de la joie céleste dans le futur, maintenant probablement déjà comprise à l'intérieur et capturée par l'espérance, mais pas encore évidente. Et dans un tel champ un anneau d'or, qu'une telle félicité dans le ciel dure éternellement et n'a pas de fin et est également délicieuse sur toute joie et tout bien, car l'or est le minerai le plus cher et le plus précieux. »
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Généalogie
Le nom de famille Lüder ou Luder remonte au chevalier Wigand von Lüder, qui vivait à Möhra depuis environ 1302 et venait de la famille von Lüder (de Großenlüder en Hesse orientale). Le nom de famille correspond à une forme du prénom franc (Mittelhochdeutsch et altsächsich) Lothar ou Chlothar (en français Lothaire, Clothaire).
Par le mariage de Heine Luder (~1430-~1510) avec Margarethe Ziegeler (~1434-1521), deux des familles d'agriculteurs les plus riches de la région ont été unies. Un de leur enfants, Hans Luder (1459-1530), père du réformateur, était maître-fondeur, un entrepreneur, propriétaire d'une fonderie et d'une mine de cuivre, et plus tard conseiller et patricien.
Né Martinus Luder, ce n'est qu'à 37 ans que le réformateur a changé son nom pour pour Eleutrherius, puis Luther. Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer ce changement, dont : connu pour être à consonnance négative, il a transformé son nom par un variant en Hochdeutsch (haut-allemand) afin d'éviter des remarques désobligeantes.
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Fig. 6. Descendance Luther depuis l'ancêtre sur 8 générations. Les armoiries ancestrales ont probablement été données à Fabian Lüder (1360-1436). A droite en bas, l'arbre ascendant de Katharina von Bora, qui reste sous débat au-delà des parents, et avec des dates souvent approximatives en l'absence de sources fiables.
Catharina von Bora, née le 29 janvier 1499 à Lippendorf (près de Leipzig) et † 20 décembre 1552 à Torgau, est une noble saxonne et none cistercienne, probablement la fille de Hans von Bora zu Lippendorf et Catharina von Haubitz (ou Haugwitz) qui décède en 1505.
Elle est éduquée dans le couvent cistercien de Marienthron à Nimbschen, près de Grimma, dont l’abbesse est Margarethe von Haubitz, sa probable tante naturelle. Le 18 octobre 1515, elle prononce ses vœux de religieuse.
Rejetant le caractère contraignant des vœux monastiques, Martin Luther rédige, en 1521, un votis monasticis judicium, destiné à offrir une assistance aux religieux qui envisagent de quitter leur monastère. Catharina von Bora est une de celles qui prirent la fuite de leur couvent de Marienthron à Pâques de l’an 1523 et arriva à Wittenberg où elle rencontra Luther. Ils décidèrent de se marier et le mariage eu lieu le 13 juin 1525. Ce fut aussi l’occasion pour le marié de se réconcilier avec son père.
Fig. 7. a.- Kartharina von Bora en 1526 par Lucas Cranach den Alte ; un peintre ami et témoin à leur mariage. b.- Pierre tombale de Katharina dans l'église Marienkirche de Torgau: à gauche, l'écu des armoiries de Martin Luther et à droite ses armoiries, celles des von Bora ; c.- Détail de ces armoiries.
Le couple s'installe dans l’ancien monastère augustinien de Wittenberg, que l'électeur Jean l'Inébranlable de Saxe (1468--1532) avait mis à la disposition des réformateurs. Elle administre les domaines que le couple a achetés, ainsi qu’une brasserie. Elle dirige également un hospice et l’accueil d’étudiants pour leur éviter des difficultés économiques. Martin Luther décède en 1546. Dans des difficultés passagères elle a pu compter sur l’aide de l'électeur Johann Friedrich Ier de Saxe, dit le Magnanime (1503-1547), d’Albrecht de Brandebourg, duc héritier de Prusse (1490-1568) et du roi Christian III de Danemark et de Norvège (1503-1559).
En 1552, elle s'enfuit à Torgau pour échapper à la peste et aux mauvaises récoltes. En y arrivant, sa calèche se retourne et elle ne remit pas de ses nombreuses blessures, dont une fracture au bassin. Elle y décède trois semaines plus tard, le 20 décembre 1552.
Note sur la famille von Bora :
Une ébauche de l'arbre ascendand de Katharina von Bora est proposée, car de nombreux ascendants ne sont pas sourcés (Fig. 6). La famille a une origine wendisch (du Wendland, une région jadis slave de l'Empire). Leurs armoiries blasonnent : d'or, au lion rampant de gueules - ultérieurement couronné. Cimier : Bügelhelm (casque de la noblesse) surmonté d'une couronne d'or, issant un plumail. Lambrequins : de gueules et d'or. Les armoiries ancestrales, selon un sceau de 1327, sont représentées ci-contre (d'après Siebmacher's Wappenbuch, Band 6, pl. 155), elles connaîtront diverses améliorations au cours du temps.
Références
Arnold M. (1999). La notion d'epieikeia chez Martin Luther (suite). Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 79, p. 315-325.
D. Martin Luthers Briefwechsel. Weimarer Ausgabe, 5. Band, p. 444 Nr. 1628 (édition 1934) - &
Fessner M. (2008). Die Familie Luder in Möhra und Mansfeld. Theiss, Stuttgart, p. 77-85, http://www.wissenschaft-schulen.de/sixcms/media.php/370/Leseprobe.541714.pdf, consulté le 27 février 2021.
Hesse O. (2016). Martin Luthers Familie im 16. Jahrhundert. Eine Unternehmerfamilie im Bergbau und in der Erzverhüttung sowie im Metallhandel im Mansfelder Land und in Goslar. Harz-Zeitschrift, 68, p. -.
Hildebrandt Ad. M. (1876). Zu Luthers Wappen. Der deutsche Herold - Zeitschrift für Heraldik, Sphragistik und Genealogie, 7 (4), p. 43-44.
Nobbe K. F. A. (1846). Stammbaum der Familie des Dr. Martin Luther zur dritten Secularfeier seines Todestages des 18. Februars 1846. Gebhardt, Leipzig, 144 p.
Rietstap J. B. (1887). Armorial général. Van Goor Zonen, Gouda, 2e éd., Tome 2, 1316 p. [ Luther : p. 114].
Rolf-Torsten H. (2015). Erfurter Wappenbuch. Books on Demand (BoD), Norderstedt, Teil 2, 628 p.
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