Les Brachiopodes du Benthos Antarctique
par Christian C. Emig
Directeur de Recherche Honoraire du CNRS
Ce site web doit être cité comme suit :
Ce site web a été publié le 17 août 2017 sous forme d'un atlas sous la référence :
Emig C.C. (2017). Atlas of Antarctic and sub-Antarctic Brachiopoda. Carnets de Géologie, CG2017_B03, 93 p. - [in pdf]
Les formes actuelles des brachiopodes
ont toujours eu une particularité « scientifique », à savoir leur étude par
des paléontologues et ainsi peu ou pas par les zoologues. En fait, cette
assertion est partiellement inexacte dans l’Antarctique, car les premiers
travaux ont été principalement réalisés par des zoologues puisque le matériel
de récolte au cours des premières campagnes antarctiques leur a été envoyé,
citons Friedrich Blochmann (1858-1931), Louis Joubin (1861-1935), Paul
Eichler, William Dall (1845-1927), Johann Gerhard Helmcke (1908-), Paul Fischer
(1835-1893) et aussi des paléontologues qui, entrés dans le domaine du
vivant comme Thomas Davidson (1817-1885), Öhlert (1849-1920), Allan Thomson
(1881-1928), Wilfrid Jackson (1880-1978), Merril Foster (publications en 1974
& 1989), ont réalisé d’excellents travaux de morphologie et d’anatomie pour
décrire les brachiopodes en prenant en compte les parties molles du corps.
Depuis le milieu du siècle dernier, les brachiopodes antarctiques ont été principalement étudiés par les seuls paléontologues, mêmes dans les campagnes océanographiques. Ceci conduisit à restreindre l’étude de ce groupe zoologique aux seuls caractères de la coquille connus sur les formes fossiles. Ainsi, il y a eu un appauvrissement dans l’usage des caractères taxinomiques et l’abandon de diagnoses « zoologiques » respectant le Code International de Nomenclature Zoologique. Une des conséquences fut l’accroissement du nombre d’espèces décrites en l’absence de caractères phylogénétiques bien définis, y compris dans leurs variations populationnelles. Car, pour distinguer les nouvelles espèces, ce sont surtout des critères dimensionnels et morphologiques de la coquille qui sont privilégiés sans que leur validité taxinomique ne soit démontrée.
Des quelque 70-75 espèces décrites
dans les eaux antarctiques et subantarctiques,
seules 51 espèces valides, réparties en 35 genres, ont été reconnues [voir Liste]
Genres = 35
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Espèces = 51
|
Ordres = 4
|
Sous-ordres
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Distribution
|
2
|
2
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Lingulida
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|
1
|
1
|
Craniida
|
|
|
7
|
8
|
Rhynchonellida
|
|
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25
|
40
|
Terebratulida
|
dont
|
|
|
g.
|
esp.
|
|
|
|
9
|
15
|
Terebratulidina
| |
|
|
16
|
25
|
Terebratellidina
| |
Ce recensement des espèces vivant dans l’Antarctique et leur répartition géographique souvent au-delà de cette région polaire, nous conduit à quelques remarques et suggestions pour faire évolution la systématique des brachiopodes.
A. Il s’avère que l’application des versions successives du Code International de Nomenclature Zoologique (CINZ) à la systématique des brachiopodes n’a été que fortuite, en fait largement ignorée. Ainsi, la diagnose d’aucune des espèces antarctiques ne répond à cette recommandation du CINZ (2000 http://www.iczn.org/iczn/index.jsp
) ni pour l’espèce, le genre ou la famille :
- Recommendation 13A. Intent
to differentiate. When describing a new nominal taxon, an author should make clear
his or her purpose to differentiate the taxon by including with it a
diagnosis, that is to say, a summary of the characters that differentiate
the new nominal taxon from related or similar taxa.
Quelques exemples de diagnoses
pour des espèces antarctiques valides ou mises en synonymie :
Liothyrella oblonga new species - par Cooper (1973) :
Diagnosis : Elongated Liothyrella with laterally bulging sides, subequal valves, and narrow width, with widest part anterior of the middle.
Aneboconcha new genus - par Cooper (1973, p. 28) :
Diagnosis : Small, smooth, sulcate brachiopods with terebratelliform loop.
et :
Aneboconcha obscura new species - par Cooper (1973, p. 29) :
Diagnosis : Small, oval, sulcate, with terebratelliform loop.
|
Ces exemples ne sont en rien
anecdotiques dans la systématique des Brachiopodes puisque même dans des
travaux très récents, on trouve des diagnoses similaires qui ne permettent nullement
de distinguer une espèce d’une autre, mais favorise largement le
« splitting ». Ceci se retrouve aussi au niveau du genre.
Il est courant quand le genre ne
contient qu’une seule espèce, de lire Diagnose du genre comme pour l’espèce . Là encore en oubliant les règles
du CINZ, car les caractères génériques doivent pouvoir différentier des genres
qui en aucun cas ne peuvent avoir les mêmes caractères taxinomiques que
l’espèce.
- 13.3. Genus-group names. To be available, every new
genus-group name published after 1930 (except those proposed for
collective groups or ichnotaxa) must, in addition to satisfying the
provisions of Article 13.1, be accompanied by the
fixation of a type species in the original publication [Art. 68] or be expressly proposed as a new replacement name (nomen novum) [Art. 67.8].
En conséquence, un bon nombre d’espèce, et pas seulement dans la région antarctique, posent des problèmes d’identification en l’absence de caractères phylogénétiques. C’est le cas, par exemple, de Liothyrella moseleyi , L. delsolari et L. winteri , qui pourraient bien être toutes les trois synonymes de L. uva, ou encore de Acrobrochus et Liothyrella.
B. Pourtant, des caractères taxinomiques mopho-anatomiques ont été mis en évidence par divers auteurs : la musculature, notamment par Bulmann (1939), Helmcke (1939), Foster (1974), Richardson (1976), le lophophore et la disposition des canaux du manteau (Foster, 1974; Emig, 1992), le pédoncule (Richardson, 1976, 1979), néphridies, gonades et larves n’ont pas encore été appréciées à leur véritable valeur taxinomique. Aucun de ces caractères n’a été utilisé lors de la révision de la systématique dans le Treatise of Invertebrate Paleontology (Vol. 2-6)... bien qu’ils soient détaillés dans le Volume 1.
En outre, les données écologiques restent souvent ignorées, ce qui rend impossible de placer une population dans sa biocoenose, sans oublier que certaines de ces données peuvent aussi être des caractères taxinomiques phylogénétiques. Il est bien connu qu’il n’y a qu’exceptionnellement deux espèces d’un même genre vivant dans le même biotope. Ceci est d’autant plus important dans l’Antarctique où la diversité spécifique est faible.
Enfin, il convient d’établir les variations intra- et inter-populationnelles pour tous les caractères, mais aussi celles avec l’âge d’un individu. Les variations d’un même caractère ont parfois conduit à établir trois espèces (ou plus) au sein d’une même population en arguant des différences entre la moyenne et les extrêmes.
Une systématique rigoureuse et
fiable, basée sur des caractères phylogénétiques permettant de fournir une
vraie diagnose, est une nécessité pour toute analyse de la biodiversité et des
études moléculaires. Il n’est, en effet, pas rare de voir des listes erronées
d’espèces, notamment dans les banques génétiques. Une approche cladistique avec
des espèces actuelles de brachiopodes ne peut se restreindre aux seuls
caractères de la coquille.
C. On constate une forte différence entre le nombre d’espèces de Brachiopodes des deux régions polaires, arctique et antarctique. Dans cette dernière, il se confirme que l’épifaune est plus hétérogène et prédominante dans les biocoenoses benthiques.
Liste des genres et espèces dans l'Arctique (Arndt & Grieg, 1933; Zezina, 1977, 1980, 1997)
et des espèces présentes dans les mêmes genres dans l'Antarctique :
Genres
|
Espèces
|
Arctiques
|
Antarctiques
|
Pelagodiscus
|
atlanticus
|
Discradisca
|
?
|
cumingii
|
Cryptopora
|
gnomon
|
Novocrania
|
anomala
|
lecointei
|
Hemithyris
|
psittacea
|
|
Terebratulina
|
retusa
|
kiiensis
|
septentrionalis
|
Liothyrella
|
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delsolari
|
moseleyi
|
neozelanica
|
uva
|
winteri
|
Arctosia
|
arctica
|
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Macandrevia
|
cranium
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americana
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diamantina
|
Dallina
|
septigera
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elongata
|
eltanini
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Glaciarcula
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spitzbergensis
|
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En 1892, déjà, Fischer et Œhlert écrivaient :
« Il sera donc nécessaire désormais de pratiquer une révision nouvelle des Brachiopodes et de supprimer peut-être un certain nombre d’espèces. Il en résulte que plus on étudie ces animaux, plus aussi diminue le chiffre des formes spécifiques légitimes. »
La bonne identification des Brachiopoda est fondamentale non seulement pour l'évaluation de la biodiversité, mais aussi dans les industries pharmaceutiques, la biologie moléculaire, la taphonomie, l'interprétation paléoécologique, et plus largement dans le domaine de l'éducation et de l’enseignement.
Au cours des dernières décennies, d’importantes avancées taxonomiques ont intégré de nouveaux caractères morpho-anatomiques qui s'appliquent aussi aux taxons fossiles. Par conséquent, la révision des genres de brachiopodes est de prime importance pour établir la liste des espèces valides avec une nouvelle diagnose, au moins dans des taxons actuels.
Nota: les citations bibliographiques sont disponibles dans la page REFERENCES.
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