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            Sommaire des Dossiers Généalogie

 

Emig Christian C.
Directeur de Recherche Honoraire
au CNRS
BrachNet
20, rue Chaix
F-13007 Marseille

 

 

 

Introduction

Origines du terme Généalogie

La généalogie est-elle
une science ?

Cousinages
de la généalogie

Conclusion

Références

Notes

 

Citation

 

 

Version

 

Du nom Généalogie : ses origines, ses définitions et ses cousinages

 

Christian C. Emig

[Résumé]            



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Introduction

Remonter aux origines est le graal de toute famille et population depuis des millénaires, aujourd’hui par les registres (état-civil, paroissiaux, notariés…) : c’est devenu l’usage le plus populaire de la généalogie. Ce qui est souvent ignoré, c’est que la généalogie ne se limite pas à ces seules recherches, car c’est devenu un outil facile et commode pour établir une filiation dans des domaines très divers qui peuvent ne pas nécessiter l’emploi de critères scientifiques bien définis, ni l’application de méthodes scientifiques strictes, ou qui peuvent se satisfaire de données incomplètes ou de faible fiabilité. Cette quête vers l’ancêtre peut concerner un être vivant [1], un objet, une idée, un savoir avec construction d’un arbre. Il est donc nécessaire de définir le mot généalogie afin d’en faire un emploi juste et appliqué à tous ces usages et à leurs finalités, notamment dans les sciences.

Le présent travail reprend et complète ou développe certains paragraphes de publications antérieures (Emig, 2014, 2017a, 2017b).

Origines du terme Généalogie

Avant tout, il convient de rappeler l’origine : le mot généalogie est construit sur les mots grecs genos (γένος : race, naissance [2]) et logos (λογος : parole), puis emprunté par le latin pour donner genealogia.

Des définitions anciennes sont fournies par le « Dictionnaire du Moyen Français » (DMF, 2015 - voir http://www.atilf.fr/dmf/definition/généalogie) : vers la fin du Ier ou début du IIe siècle, l’érudit romain Suetone donne à Genealogia qu’il emprunte au grec le sens de « linea generationis, enumeratio parentum et maiorum, origo » [lignée des générations, énumération des parents et des ancêtres, source (ou origine)]. Le substantif généalogie apparaît dans langue française vers 1292 sous diverses formes, notamment genelogye, genalogie, geonologie, geneologie, genealogie… (Eytzinger, 1590 ; Wartburg, 1922-1967), avec la définition suivante « filiation d’une ou plusieurs personnes établie par la succession de leurs ancêtres » (Geodefroy, 1895-1902) ou « succession d'ancêtres qui établit une filiation ; descendance ; succession, suite » (Wartburg, 1922-1967 ; DEAF él, 2015).

C’est bien une définition anthropocentrée de la généalogie, qui a été employée pendant des millénaires. Néanmoins, depuis environ deux siècles, ce mot a connu de nouveaux usages sous l’impulsion d’usages scientifiques divers. Récemment, le développement de l’informatique, avec des logiciels de plus en plus performant, dans les études de l’évolution et la création de bases de données puissantes ont initié de nouvelles perspectives. Aussi, de nouvelles définitions qui sont rapporté par « Trésor de la Langue Française informatisé » (TLFi, 2007).

Tableau 1.  Définitions du substantif généalogie d’après le TLFi (2007), modifiées. L’établissemen d’une généalogie ne peut se faire sans prendre en compte l’appartenance des individus à une population, à leur histoire, à leur culture, à leurs origines. Il y a là interactions scientifiques directes.

Généalogie, subst. fém.

A. - Dénombrement, par filiation, des ancêtres d'un individu.

  • Tableau, ouvrage représentant cette filiation.

  • Outil ayant pour objet le dénombrement des ancêtres d'un individu.

  • Filiation des animaux de race. Synon. Pedigree [3].

Biol. Suite des espèces qui se sont succédées par filiation pour parvenir à l'espèce actuelle.

B. Au fig. (Histoire d'un) développement successif.

Ainsi, la généalogie concerne tout ce dont on peut établir une filiation qui est définit comme le « lien de parenté unissant un spécimen à ses ascendants ou descendants » – le mot individu est défini comme « tout être concret, donné dans l'expérience, possédant une unité de caractères et formant un tout reconnaissable » (TLFi, 2007) : ainsi un roman, un poème, un tableau, un morceau de musique… sont des individus, tout comme des individus vivants. Cela vaut aussi pour, par exemple, des éléments en science physique ou des corps en chimie, et aussi l'histoire d'un groupe, d'un domaine, d'une idée, d’un savoir, etc.

La généalogie familiale (humaine) n’apparaît plus que comme la partie émergée de l’iceberg généalogique. En effet, rien dans ces définitions ne fait une exclusivité à l’homme - à remarquer qu’en anglais, un arbre ascendant en généalogie humaine est appelé « pedigree ». Les dictionnaires habituellement compulsés – dit grand-public – ont pour certains (comme les Larousse, Littré) changé leurs définitions au cours de la dernière décennie pour se retrouver en accord avec celle du tableau ci-dessus. D’autres n’ont pas encore fait leur mise à jour et gardent des définitions anthropocentrées, comme l’Encyclopædia universalis (2017) : « La généalogie, l’une des plus anciennes sciences du monde, a pour finalité l’étude objective et exhaustive des ascendances et des descendances des individus, de leurs rapports de parenté, de leurs particularités physiques, intellectuelles et morales et de leurs biographies privées et publiques. »

La généalogie est-elle une science ?

Á cette question, nombre de généalogistes ont répondu oui, mais probablement par méconnaissance de la définition de ce qu’est une « science ». Or, la réponse se retrouve dans les définitions citées ci-dessus montrant que celles-ci ne correspondent pas au substantif « science » qui est un « ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits obéissant à des lois objectives (ou considérés comme tels) et dont la mise au point exige systématisation et méthode » (TLFi, 2007). Il en est de même pour d’autres disciplines considérées souvent à tort comme des sciences - c’est le cas de l’Histoire.

Telle que définie ici, la généalogie (sens large) est utilisée dans divers domaines ou disciplines généralement scientifiques, au-delà des seules recherches généalogiques familiales ; les critères de ces dernières ne font l’objet d’aucune définition et ne sont pas basés sur des preuves irréfutables et/ou scientifiques ou des lois scientifiques. Malgré ces lacunes, la généalogie se rapproche d’autres méthodes scientifiques proches (voir ci-dessous) : elle n’est qu’une technique et un outil nécessitant pourtant rigueur et une excellente connaissances des critères techniques nécessaires, appliqués à des individus pour établir une filiation, aussi celles liées à l’appartenance des individus eux-mêmes à une population, à son histoire, à sa culture, à son origine. Nombre de ces données relèvent ou peuvent relever de recherches scientifiques ; elles doivent être recherchées afin de corroborer chaque fois que nécessaires des données transmises par la famille (voir aussi ci-dessous).

Dans un premier temps, il faut constituer une base de données informatisée avec une fiche par individu, comportant toutes les données disponibles, voire nécessaires, incluant les liens entre fiches en respectant scrupuleusement les règles afférentes et les sources originales. Une telle base, si elle est mise en ligne, ne devra être considérée par les consultants comme n’étant valide qu’au moment de la consultation, car elle est censée être en évolution constante avec des modifications (ajout de données, de rectificatifs, etc.). En fonction du ou des logiciels utilisés, les données de cette base pourront être publiées sous diverses formes et être analysées en fonction des champs disponibles dans chaque fiche ; les usages les plus courants sont sous forme d’arbres ascendants ou descendants et de tableaux.

Il s’agit bien d’un outil qui doit pouvoir servir au-delà du seul but personnel, souvent envisagé au départ. C’est là qu’il est nécessaire de réfléchir aux champs et aux liens à créer afin de donner à sa base le plus de possibilités ultérieures d’exploitation. Au sens large, l’outil généalogie sert dans divers savoirs et domaines scientifiques comme la biologie, la génétique, l’écologie, la botanique, la physique, la chimie, la paléontologie, l’archéologie, l’histoire, la sociologie, la philosophie, l’ethnographie, etc. Il faut y ajouter l’histoire des populations, la héraldique, la sigillographie parmi d’autres.

Les études généalogiques sont informatisées depuis plus d’une vingtaine d’années à partir de corpus généalogiques empiriques. Bien que beaucoup de généalogistes ont un sentiment de limpidité et de transparence de leurs données, il s’agit en réalité d’un assemblage d’objets complexes, d’une construction sociotechnique ambiguë que chacun, et pas seulement l’ethnologue ou l’historien, doit toujours commencer par interroger. En effet, la généalogie humaine mélange à la fois des informations directement issues de la mémoire généalogique d’individus réels et des artefacts mémoriels élaborés à partir de bribes d’informations artificiellement détachés de ces mêmes mémoires. Ainsi sont mis sur un même plan, d’une part, des informations biographiques individuelles obtenues des registres (notariaux, paroissiaux, d’état-civil) et auprès des personnes elles-mêmes (vivantes ou décédées) et, d’autre part, des traces biographiques issues de la mémoire d’autres acteurs. Il s’agit dans tous les cas de documentations lacunaires, parfois immenses, parsemées d’embûches, de fausses pistes, de mémoires familiales biaisées, voire imaginaires. Toute donnée devra donc être validée : c’est pourquoi toute reconstitution généalogique doit, en amont, s’asseoir des analyses objectives des sources citées et disponibles, en sachant qu’aucune généalogie ne sera parfaite. Si les chercheurs scientifiques, notamment des ethnologues et des historiens, sont très attentifs à la recherche et à l’analyse des informations (voir, par exemple, Barry & Gasperoni, 2008), celles-ci concernent tout autant chaque généalogiste amateur [4].

Comme exemple, nous citerons le traitement informatique des matériaux généalogiques en anthropologie : un outil méthodologique efficace, notamment pour des anthropologues qui étudient les systèmes de parenté et d’alliance. De nouveaux logiciels, comme PUCK (http://www.kintip.net/), permettant des méthodes novatrices d’analyse et d’évaluer la qualité, les lacunes et les biais d’un corpus généalogique (Hamberger & Daillant, 2008). Il existent aussi des collections scientifiques d'archives ouvertes de données généalogiques, comme Kinsources (https://www.kinsources.net/). Par cet exemple, nous voulons mettre l’accent sur des recherches scientifiques qui mettent en évidence un usage de l’outil généalogique souvent ignoré par ceux qui en font un passe-temps, souvent rangé dans le domaine qu’ils estiment privé, alors que leurs données peuvent faire l’objet d’analyses scientifiques et sont d’un accès ouvert à tous. Certaines de ces données peuvent parfois avoir une publication restreinte pour des personnes vivantes, mais non pour leur analyse, comme par exemple les statistiques sur les recensements.

À travers la généalogie, les scientifiques ouvrent de nouvelles perspectives aux travaux des généalogistes amateurs et poussent au rapprochement avec la communauté scientifique. Comme le remarquait déjà Harvey (2007), l’avenir propose de nouveaux défis à la généalogie avec des perspectives, notamment vers de nouveaux modèles identitaires, bien au-delà des seules recherches des origines familiales, et une ouverture vers l’histoire sociale, la démographie historique et la sociologie de la famille et des populations. La littérature scientifique (voir quelques citations dans Références) n’est pas avare en étude sur des généalogies diverses comme celle des risques, des savoirs anthropologiques, des familles nobles, des « familles » scientifiques, de la généalogie scientifique. Pour cette dernière, citons deux publications (Paveau, 2010 ; Bonin & Antona, 2012) accessibles en ligne.

Cousinages de la généalogie

Dans cette partie, le propos est restreint à la généalogie animale, et humaine en particulier. Celle-ci peut être utilisée dans trois disciplines scientifiques.

1. Phylogenèse ou phylogénie [5] [= science qui reconstitue les relations de parenté entre les taxons – ou - formation et développement des espèces actuelles au cours des temps (dont l’espèce humaine Homo sapiens)]

Selon Haeckel (1874), inventeur du mot, « l'ontogenèse récapitule la phylogenèse » c’est-à-dire que la formation de l'embryon synthétise l'histoire évolutive de l'espèce. Néanmoins, la reproduction elle-même est une des caractéristiques de la population et non de l’espèce qui est le premier niveau hiérarchique dans la classification (Arnaud & Emig, 1987).

La représentation d’un arbre phylogénétique, nommé cladogramme (Fig. 1A : d’après Hervé, 2012), est basée sur la méthode cladistique, inventé par Hennig (1950), à partir des caractères phylogénétiques des taxons : chaque nœud représentant un taxon ancestral (hypothétique, possédant des caractères primitifs, dits plésiomorphes) et sur les branches terminales les taxons actuels (généralement des espèces) : ces derniers possèdent des caractères dérivés (dits apomorphes), c’est-à-dire plus évolués par rapport à l’état plésiomorphe. Ces caractères sont aujourd’hui à la fois morpho-anatomiques et génétiques, permettant d’identifier les taxons, de l’espèce à l’embranchement (ou phylum) et d’établir leurs relations évolutives. C’est un outil pour la taxinomie (qui est la science des lois et des principes de la classification). La méthode cladistique n’est pas restreinte aux êtres vivants, mais s’applique à tout ensemble pouvant être identifié par des caractères phylogénétiques ; et là encore l’outil généalogique peut servir.

Il faut y ajouter un critère important souvent négligé par les amateurs en généalogie : celui de l’histoire du taxon ou des « individus » étudiés, qui est un facteur de première importance en évolution, incluant le mode de vie de tout ascendant. C’est parce qu’il est impossible de connaître la descendance généalogique à partir d’un ancêtre commun pouvant avoir vécu il y a des milliers ou des millions d’années, que les scientifiques identifient les caractères phylogénétiques des espèces actuelles (Fig. 1A) afin de pouvoir déterminer ceux de leurs ancêtres hypothétiques et en connaître leur évolution.

Un arbre cladistique, comme un arbre généalogique descendant, est monophylétique, c’est-à-dire que les taxons ou les individus sur de tels arbres sont issus d’un même ancêtre [6] commun et constitue un groupe monophylétique ; on parle aussi de groupe naturel (Fig. 1A, 1B).

Fig. 1. A. Arbre phylogénétique (cladogramme) des espèce humaines du genre Homo (d’après Hervé, 2012 avec l’australopithèque Australopithecus afarensis comme groupe extérieur) : l’arbre phylogénétique est descendant, mais place l’espèce-ancêtre à la base (rotation de 180°) par rapport à la représentation ; B. d’un arbre généalogique descendant ; C. Arbre généalogique ascendant en fonction du nombre de générations et de personnes (à gauche) et la représentation en éventail (à droite), la numérotation des personnes se fait selon la méthode Sosa-Stradonitz.

En revanche, un arbre généalogique ascendant peut être considéré comme polyphylétique c’est-à-dire qu’il est constitué de personnes ayant ou pouvant avoir des origines diverses et donc avec des ancêtres distinctes (sans liens de parenté) : cela vaut tant pour la lignée paternelle que maternelle à chaque nœud ascendant (Fig. 1C). Néanmoins, un ancêtre commun possible entre ces deux lignées n’est pas à exclure, d’autant moins que l’on remonte dans le temps (ou dans le cas de parents cousins germains par exemple) à cause des mariages entre familles d’une zone géographique restreinte, au moins jusqu’aux environs du milieu du XIXe siècle. Remarquons qu’en 10 générations, il y a 512 ascendants (Fig. 1C), en 20 G : 524 288 et en 30 G : 536 870 912 ! Ainsi, le nombre d’arbres descendants possibles devient impressionnant : ceci devrait donner à bien des généalogistes une humilité certaine quant aux cousins que la plupart ne soupçonne pas et qui évidemment n’apparaissent pas dans leurs arbres « personnels ». Ceci corrobore que toutes les personnes dans une ascendance ont une importance similaire et qu’aucun nom de famille ne peut avoir une prédominance au sein d’une parenté directe, y compris celui que nous portons. Ces chiffres soulignent l’importance qu’une base généalogique peut atteindre, sans besoin d’évoquer, comme certains le fustigent, la nécessité de « gonfler » sa base de données « inutiles ». Plus simplement, nous partageons nos proches et nos ascendants avec des centaines de milliers de personnes, dont la plupart du temps nous ignorons l’existence, simpleme,t parce que nos bases de données sont trop petites !

Parmi les différences entre les outils cladistique et généalogique, il faut noter que la phylogenèse traite de l’évolution des espèces humaines (dans l’exemple de la figure 1A) selon des caractères parfaitement définis ; ses arbres (phylogénétiques) sont unilinéaires et descendants, depuis une espèces ancestrale et prennent en compte l’ensemble des individus pour chaque espèce, sans évaluer la parenté entre eux (Fig. 1A). Dans les arbres généalogiques (Fig. 1B, C), seuls les individus avec leur parenté sont mentionnés : l’arbre ascendant s’établit à partir d’un seul individu, dont les ascendants doublent à un nœud générationnel (Fig. 1C), mais sans prendre en compte leur appartenance taxinomique à une espèce. Alors que chaque individu appartient à une seule espèce en phylogenèse, en généalogie animale (y compris humaine), deux géniteurs (père et mère) peuvent ne pas appartenir à la même espèce [7]. Pour déterminer cette appartenance, il faudrait que les personnes utilisées en généalogie aient été identifiées selon les caractères taxinomiques, utilisés en phylogenèse. L’apparition d’un nouveau caractère phylogénétique menant à définir une nouvelle espèce se fait par mutation génétique, à condition que celle-ci soit viable, transmise à des descendants et devienne dominante. Les autres sont pudiquement nommées maladies génétiques héréditaires (environ 6 000 recensées à ce jour).

En phylogenèse et en généalogie, la première étape est généralement de construire un arbre ascendant (Fig. 1A, 1B), c’est-à-dire connaître l’origine d’un individu donné : en phylogénèse, c’est individu > population > espèce > genre > famille (selon la classification hiérarchique en taxinomie) ; et, en généalogie, individu > père/mère > grand-père/grand-mère, etc. en lignées patronymiques et matronymique, selon la méthode Sosa-Stradonitz (De Sosa, 1676 ; Kekulé von Stradonitz, 1898). L’espèce humaine appartenant au règne animal, les niveaux individu et population ont toute leur importance en généalogie à condition d’être abordé dans un contexte scientifique qui, en plus de la génétique, intègre l’information historique, avec les très nombreuses facettes de chacun des niveaux, notamment culturelles, religieuses, linguistiques...

Enfin, la notion d’humanité est philosophique et religieuse, car nul ne sait s’il y a aujourd’hui une ou plusieurs espèces humaines sur notre Terre, mais ce qui est certain c’est que les populations humaines sont très distinctes jusqu’au point de pouvoir les rendre incompatibles à vivre ensemble, quand on les sort de leur biotope originel ou que ce dernier est transformé. Pour un scientifique, cela n’a rien de surprenant, mais devrait fortement interroger les uns et les autres sur les conséquences des mouvements migratoires du présent et dans le futur – cela est parfois nommé sous le terme d’espèce invasive – quand le terme correct devrait être population invasive. La généalogie est ainsi un moyen de tenter de répondre à des questions quant aux mouvements migratoires de certains de nos ancêtres.

2. Anthropogénie [= science qui étudie l'origine et l'histoire de l'humanité]

Trois ouvrages eurent un grand retentissement : Charles Darwin (1871) sous le titre « The descent of man, and selection in relation to sex » (Descendance de l'homme et la sélection sexuelle) ; Ernst Haeckel (1868) avec « Natürlichen Schöpfungsgeschichte » (Histoire de la création), suivie de « Anthropogenie oder Entwicklungsgeschichte
des
Menschen » (Anthropogénie ou Histoire de l'évolution humaine) de ce même auteur en 1874. Reprenant les théories de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) sur l'origine animale de l'homme (Laurent, 1989), Haeckel affirmait l'existence d'un intermédiaire morphologique entre les singes supérieurs et l'homme, qu'il désigna même sous le nom de Pithécanthrope. Rappelons qu’aujourd’hui pour certains scientifiques, les chimpanzés, notamment les Bonobos, appartiendrait au genre Homo, dont nous sommes aussi une espèce.

Il faut souligner que ce fut le désir des rationalistes de prouver l'origine animale de l'homme, qui provoqua l'essentiel des études et des recherches. Bien que quelques livres continuent à se publier sur ce thème, on peut clore le débat scientifique sur l’origine animale avérée des espèces humaines. Si ce n’est pas la généalogie qui y apporta une contribution, il ne faut pas, pour autant, méconnaître ce fait dans la généalogie : Homo sapiens sapiens est bien une espèce animale actuelle, ce qui explique bien des comportements. En écologie, elle n’est qu’une espèce parmi les autres.

3. Anthropogonie [= récit organisé, de nature mythique, relatant l'origine et l'histoire primitive de l'humanité]

Aujourd’hui nommée anthropologie = étude de l'homme dans son ensemble. Il y a une grande diversité dans le récit de la naissance des hommes, car chaque culture a sa façon de la représenter. Les religions y ont une part prépondérante : elles ne peuvent être ignorées au sein des différentes familles qui composent une généalogie humaine. En effet, bien des relations familiales européennes sont directement impactées et expliquées par l’appartenance à l’une ou l’autre des religions judéo-chrétiennes.

Aujourd’hui, l'anthropologie est la branche des sciences qui étudie l'être humain sous tous ses aspects, à la fois physiques (anatomique, morphologique, physiologique, évolutif, etc.) et culturels (socio-religieux, psychologique, géographique, etc.). Elle intègre diverses sous-disciplines, comme l'ethnologie, l'ethnographie, l’archéologie, la linguistique (Laurent, 1989 ; Langenohl, 2009) ; elle devrait tout particulièrement intéresser des généalogistes familiaux qui veulent développer et valoriser leurs données récoltées dans les actes. Les enseignements et recherches en anthropologie se font dans diverses universités et organismes de recherche publics.

En outre, pour un usage scientifique, il s’ajoute des informations sur le métier, les fonctions, le lieu de vie, la religion, l’origine ethnique [8], les « maladies » transmissibles, les causes du décès… Si elles ne sont pas indispensables dans une filiation, elles aident à préciser et expliquer les liens de parenté et leurs histoires.

Conclusion

Le développement de la généalogie par les scientifiques ouvre de nouvelles perspectives aux travaux des généalogistes amateurs et souligne le nécessaire rapprochement avec la communauté scientifique. Aussi, après cet exposé brossant des contours dépassant largement ceux de la généalogie familiale, il convient d’y revenir afin de la remettre dans le contexte généalogique actuel. En effet, la généalogie familiale se limite trop souvent dans une vision égocentrée ascendante, alors la démarche familiale en généalogie ne peut se faire que vers l’autre, les autres, on devient un parmi des milliers d’autres parents et le terme famille prend sa vraie dimension : groupe constitué par des individus apparentés par des alliances, par le sang, descendant d'ancêtres communs (TLFI, 2007). C’est bien dans un arbre descendant que se mesure la parenté (Fig. 1B), c’est-à-dire le lien unissant des personnes qui descendent les unes des autres (TLFI, 2007) : dès lors, un lien devient d’autant plus facile à mesurer que la base de données généalogiques est importante. On peut estimer une telle base à un minimum de plusieurs dizaines de milliers de personnes à partir d’une quinzaine de générations en se basant sur la Figure 1C. Entrer en généalogie familiale demande humilité, abnégation, profond partage dans l’altérité. Une contribution à sa généalogie ne sera toujours qu’un apport à un ensemble qu’il sera impossible d’appréhender dans sa globalité et restera une quête à la rencontre des parents et cousins, proches ou lointains, ceux avec qui on partage et on se doit de partager des ancêtres communs dans la canopée généalogique et tous ses descendants.

Références

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DMF (2015). Dictionnaire du Moyen Français, version 2015. ATILF - CNRS & Université de Lorraine. http://www.atilf.fr/dmf , consulté le 3 décembre 2017.

Emig C. C. (2014). Quelques réflexions sur la Généalogie et sur son usage. Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_03-2014, p. 1-11.

Emig C. C. (2017a). Généalogie générale. Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_Dossier-1, 68 p.

Emig C. C. (2017b). Généalogies scientifiques, historiques et familiales. Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_Dossier-2, 172 p.

De Sosa G. (1676). Noticia de la gran casa de los Marqueses de Villafranca y su parentesco con las mayores de Europa, en el arbol genealogico de la ascendencia en ocho grados por ambas lineas, del Excelentisimo Señor D. Fadrique de Toledo Osorio, septimo marques de esta casa. Nouelo de Bonis, Naples, 491 p.

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Eytzinger M., 1590. Thesaurus principum hac aetate in Europa viventium, quo progenitores eorum... simul ac fratres et sonores inde ab origine reconduntur... usque ad annum... G. Kempensem, Cologne, 233p. [réédité en 1591, 263 p.]

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Note bibliographique : la plupart des publications citées ici sont disponibles sur le WEB, avec ou sans lien mentionné.


Notes :

[1] Il peut s’agir d’un individu, d’une population ou d’une espèce animale ou végétale.

[2] Le biologiste danois W. Johannsen proposa en 1909 le mot gène formé sur le radical grec de genos (ne pas confondre avec les termes comprenant –gène, tirés du verbe grec signifiant engendrer). Le substantif génétique correspond à la « branche de la biologie qui étudie les phénomènes de l'hérédité », formé à partir du mot grec genetikós, signifiant propre à la génération.

[3] Le mot pedigree nécessite des précisions. En effet, en français apparu au siècle dernier et emprunté à l’anglais, il est généralement pris comme la « généalogie d'un animal domestique (cheval, chien, chat) de race pure; document où est consignée cette généalogie. » Or, il concerne aussi la « généalogie, origine d'une personne (plus rarement d'une ville); document où est consignée cette généalogie, cette origine. » Pour d’autres définitions voir TLFi (2007). En anglais, le terme pedigree est un « relevé généalogique, généalogie » en usage depuis le XVe siècle et sans restriction d’application, notamment à l’homme.

[4] En Science, un amateur (même mot en anglais) est un scientifique non professionnel, dont le travail est reconnu par ses pairs scientifiques (Meadows & Fisher, 1978 ; Wazeck, 2014). Nombre sont considérés comme de célèbres scientifiques, on ignore souvent leur statut d’amateur. Il convient donc d’utiliser ce terme à bon escient, y compris en généalogie ! Les scientifiques anglo-saxons nous rappellent « in science it retains the meaning of its French root amour, love, for amateurs do science because it's what they love to do. »

[5] Composé des éléments formants phylo- « espèce, classe organique », du grec φυλο-, de φϋλον « classe, espèce » et -genèse, -génie « force productrice, principe, source de vie; production; génération » du latin genesis, lui même issu du grec γνεσιϛ.

[6] Dans une généalogie humaine, père et mère se déclarent comme tels pour une enfant, mais sans en apporter la preuve, au moins pour le père qui est généralement pris comme ancêtre commun (et non la mère). Selon une étude scientifique britannique (Bellis et al., 2005), 3,7% des pères ne seraient pas le père biologique. La généalogie humaine peut être considérée comme administrative, puisque seule une analyse ADN peut confirmer les parents – ce n’est cas dans aucun pays aujourd’hui.

[7] La notion d’espèce a bien évoluée au cours des dernières décennies. L’espèce est le premier échelon hiérarchique dans la classification. Deux individus appartenant à des espèces proches peuvent donner une nouvelle lignée, même chez l’homme – citons Homo sapiens et Homo neanderthalensis (Fig. 1A)

[8] La notion de race humaine est un sujet qui reste dans les cartons des scientifiques, car tabou dans la société, lié à son usage politique. Néanmoins, l’humanité est formée de populations, correspondant souvent à des « peuples », au sein des différentes ethnies - une ethnie étant un groupe d’êtres humains possédant un héritage socio-culturel commun, en particulier une langue.



Emig C. C., 2017. Du nom Généalogie : ses origines, ses définitions et ses cousinages.
Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_03-2017, p. 1-8.

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Mise en ligne le 8 décembre 2017 - © Christian C. Emig - Nouveaux eCrits scientifiques