Portail    |    Sommaire
                Sommaire des Dossiers Généalogie

 

Emig Christian C.
Directeur de Recherche Honoraire
au CNRS
BrachNet
20, rue Chaix
F-13007 Marseille

 

 

 

Introduction

Le document et
l'étymologie du lieu

Le propriétaire - donateur
et sa généalogie

Données archéologiques
mérovingiennes-
carolingiennes

Références

Notes

 

Données complémentaires

 

Citation

 

 

Version

 

Osthaim et l’origine toponymique et historique du village alsacien Ostheim (Haut-Rhin)

 

Christian C. Emig

[Résumé]            



Version            

by Google     mit Google

Introduction

C’est dans un document daté du 18-19 juin 785 du calendrier Julien, que le nom « Osthaim » apparaît pour la première fois : celui d’une villa (en latin) carolingienne, sise sur le ban de l’actuel village alsacien nommé Ostheim, à une dizaine de km au Nord de Colmar (Fig. 1). C’est parce que plusieurs auteurs ont mentionné « Osthain » que des recherches sur la toponymie du lieu ont commencé, car l’étymologie de ces deux mots n’est pas la même et aussi pour identifier le propriétaire de cette villa. D’autre part, des fouilles archéologiques récentes (dans les années 2010) viennent corroborées ce document, tandis que des données généalogiques permettent de mieux connaître la dynastie du propriétaire-donateur, celle de l’illustre famille des Etichonides, ducs d’Alsace, issue de la noblesse franque à l’époque mérovingienne.
C’est en rassemblant cet ensemble de données qu’il est maintenant possible de proposer une origine toponymique [1] et historique du lieu Ostheim.

Fig. 1. - Localisation des fouilles (en rose) au Birgelsgärten [2], lieu où se situait Osthaim ; le cadre de la figure correspond à une surface d'environ 400 ha. À noter que le hameau Altenheim, mentionné sur la carte Cassini, a aujourd'hui disparu.

Fig. 2. - Localités (noms actuels) citées en Alsace. À comparer avec la Fig. 9 (carte politique de l'Empire des Francs entre le VIe et Xe siècle).

Le document et l'étymologie du lieu

Le document, daté du 18-19 juin 785 du calendrier Julien, est une donation en faveur de l’abbaye de Fulda, fondée en 744, sise en Hesse, entre Francfort-sur–Main et Cassel (Fig. X), faite par le propriétaire des lieux nommé Hugues II, fils de Etichon I ou Haicho († après 723), de l’illustre famille franque des Etichonides. Deux autres lieux sont cités : Choneshaim (devenu Künheim, aujourd’hui Kunheim) et Rigoltesberg (près d’Ingersheim) (voir Stoffel, 1868). Ces deux dernières localités ont été attribuées par quelques auteurs, de façon erronée, à d'autres lieux, respectivement à Kientzheim et à Sigolsheim, deux villages sis à quelques centaines de mètres l’un de l’autre (Fig. 2) ; en ce dernier lieu, existait un monastère (Oberhof) qui aurait été donné à l'abbaye d'Ebersmünster par Charlemagne.

Le texte (en latin – facsimilé : Fig. 3, 4) de cette donation a été publié par Schannat (1724) et Grandidier (1787). La transcription correcte du lieu est bien Osthaim ou Ostheim (Fig. 3-5) -et non Osthain, probablement une erreur de lecture- (Schannat, 1724, p. 38-39 ; Grandidier, 1787, p. 43-44 ; Stengel, 1956) (Fig. 3-4). On le retrouve sous Ostheim dans les années 800 (Schannat, 1724, p. 398, 404 et 420) (Fig. 5). Le texte précise in villa & in marca denominata Osthaim, ce qui signifie, à cette époque francique, qu’il s’agit d’une ferme, voire d’un ensemble de fermes avec leurs habitations rurales, ainsi que le territoire situé en bordure et voisinage (définition de marca selon le DMF, 2015). Il est intéressant de noter que le mot village vient du latin médiéval villagium, vers le XIe siècle, défini comme un groupe d’habitations rurales, qui est lui même dérivé de vil(l)e, signifiant ferme, du latin villa (= maison de campagne, ferme, métairie…). En Alsace, villa sera remplacé par Dorf (= village) du vieux haut-allemand (Althochdeutsch) qui apparaît vers cette époque ; à l’origine, Dorf ne distinguait pas entre une seule et plusieurs fermes.

Fig. 3. - Facsimilé d'un extrait des p. 38-39 de Schannat (1724).

Fig. 4. - Facsimilé d'un extrait des p. 43 et 44 de Crandidier (1787).

Fig. 5. - Facsimilé d'un extrait de la p. 420 de Schannat (1724).

Selon l’explication fournie par Bullet (1753), Osthaim ou Ostheim est un mot composé en celtique (Fig. 6) : ost signifiant au bord d’une rivière et haim (ou heim) la maison – ce qui explique l’usage de l’une ou l’autre des forme. La rivière est la Fecht dont le nom est aussi d’origine celtique (Fig. 6).
Aussi une interprétation étymologique d’Osthain/Ostheim à partir d’un dictionnaire allemand (francique ou alémanique) s’avère erronée, suggérant : Ost signifiant août ou période de récolte, ou bien, Est ou aube par rapport au lever du soleil ; et Hain mot masculin francique signifiant nemus = bois ou forêt renfermant des paturâges ; lucus = bois sacré ; Hain est une forme ancienne de Hagen pouvant aussi signifier verger.

Fig. 6. - Facsimilé d'extraits des p. 229 et 237 de Bullet (1753).

Au sujet de l’usage du celtique, c’est à partir VIIe-Ve siècle avant J. C. que la présence des Celtes est mentionnée en Alsace, marquant la limite occidentale de leur domaine originel. Au cours du Ier siècle avant J. C. commença l’envahissement par des peuplades celto-germaniques, parmi lesquels les Suèves avec leur chef Arioviste (un Celte dont le nom exact est Ariovistos), qui, avec leurs alliés, furent ensuite vaincus par les Romains avec Jules César en 58 avant J. C., entraînant une cohabitation au sein de la population. La germanisation de l’Alsace commence vraiment avec l’arrivée des Alamans vers la fin du IVe siècle, puis des Francs un siècle plus tard. Le celtique et le latin sont progressivement remplacés par un dialecte alémanique (Althochdeutsch, aussi nommé dialecte bas-alémanique, niederalemannisch Dialekte). L'Alsacien actuel en est issu. Seul l’extrême nord de l’Alsace à un dialecte francique (Altfränkisch ou plus précisément südfränkische Dialekte), la limite linguistique étant la rivière Seltz, tandis que, dans le Sud de l’Alsace et en Suisse, le dialecte est le haut-alémanique. L’alsacien est l’extension la plus occidentale de l’alémanique (connu dans sud-ouest de l’Allemagne et Suisse germanophone ; Emig, 2012).

Au Xe siècle, Ostheim est cité dans deux diploma (traduit du latin par : acte officiel ; en allemand : Urkunde) de l’empereur Otto III, rapportés dans des ouvrages reproduisant ces décrets avec des commentaires (Grandidier, 1787 ; Sickel, 1893) : il s’agit d’une donation de deux sœurs au couvent d’Ebersheim, sis sur une île de l'Ill, c’est l’ancien nom de l’abbaye d’Ebersmünster.
Le premier acte est daté du 1er mai 987 et reproduit par Gandidier (1787), en fac-similé en Fig. 7 : il mentionne qu’il s’agit d’un acte supposé de l’empereur, contenant des données supposées et mensongères, sans préciser lesquelles sinon faire référence à un de ses autres livres. D’après Sickel (1893, p. 860 – n°426), il s’agirait du travail d’un faussaire fait d’après l’acte de 997, modifié et antidatée. Différents actes faits par des faussaires ont été découverts à l’abbaye d’Ebersheim (Ebersmünster) et étudiés par Wentzcke (1910), Hirsch (1934), Wilsdorf (1960, 1967), montrant que les faussaires et la fabrication de faux actes venaient souvent des institutions elles-même ; les exemples sont nombreux, comme le faux testament de Sainte Odile (Tableau 1) fabriqué à l’abbaye de Niedermunster (créé par cette sainte) au XIIe ou XIIIe siècle.

Fig. 7. - Facsimilé des p. 154 et 155 de Grandidier (1787).

Le deuxième acte est du 1er mai 997 (Fig. 8) et n’est pas contesté ni par Grandidier (1787), ni par Wentzcke (1910); cependant, Sickel (1893, p. 694 – n°274) remarque que de part certaines références historiques, l’acte a été en fait rédigée en l’année 998 et en février et il argue aussi qu’il n’est pas possible de distinguer en quoi la liste des possessions diffère sur ces deux documents.
Dans les deux actes, un bien est mentionné à Ostheim et donné à l'abbaye d'Ebersmünster (Ebersheim), mais sans plus de précision. Le but du faussaire, probablement un moine de l'abbaye, était d'antidatée l'acte de 997, reste à déterminer la raison exacte.

Fig. 8. - Facsimilé des p. 180 et 181 de Grandidier (1787).

Nota : un hameau nommée Ostein (aussi cité sous Osthaim, Hosthaim ou Hostheim) est sis près d'Isenheim (Fig. 2) – aujourd’hui Issenheim (Stoffel, 1868), un lieu occupé par des Celtes depuis l’âge du Bronze : il est mentionné pour la première fois en 811, dans un acte attribuant des terres situées à Osthaim à l'abbaye de Murbach ; cette dernière a été fut fondée en 727 par le comte Eberhard d'Eguisheim, fils d'Etichon/Adalric (665-722), duc d'Alsace et petit-fils d'Etichon Ier.
Le hameau a été abondonné et est tombé en ruine vers le milieu du XVIIIe siècle, ainsi que son château, construit par les nobles von Ostein (ils ont pris le nom du lieu) vers le XIIe siècle, au bord de la Lauch – ce lieu est aujourd'hui, sur le ban d’Issenheim, et il ne subsiste plus que la rue d’Ostein et la rue du château.

Hugues II, le propriétaire - donateur et sa généalogie

Le propriétaire des lieux et donateur se nomme Hugues II (720-789), comte, époux de Grimhilde (724-756) (Fig. 3, 4 ; Tableau 1). Il est le fils de Eticho (ou Haicho) II (670-†>723), de l’illustre famille franque des Etichonides (Tableau 1). Ce dernier est un frère d’Odile de Hohenbourg, mieux connue sous Sainte Odile, canonisée au XIe siècle et considérée comme la patronne de l’Alsace.

On dénomme Etichonides les descendants du duc d'Alsace Adalric ou en « mérovingien » Chatalricus. Ce prénom avait diverses variantes (Tableau 1) dont Eticho, ce qui conduisit au XVIIIe siècle à former la famille des Etichonides (Wilsdorf, 1967). En Alsace, la dynastie des Etichonides s'étend sur l'époque mérovingienne, puis carolingienne, durant laquelle elle se fonda dans la maison carolingienne, avec disparition du duché d'Alsace, et aussi se prolongea avec les comtes d'Eguisheim. Wilsdorf (1967, p. 33) résume ainsi le point de vue géographique des Etichonides (Fig. 9) : « la famille se fixe en Alsace au VIIe siècle. Elle en sort sous Charlemagne, se meut dans l'empire carolingien, garde un moment un caractère international lors de la dislocation de l'empire, se replie enfin sur sa province lorsque l'horizon politique se rétrécit. »

Intégrée au royaume d’Austrasie, l’Alsace devient vers 640 un duché, créé par les rois francs mérovingiens pour assurer sur le Rhin la sécurité face au duché de Saxe-Alémanie puissant et indépendant. Eticho ou Adalric (635-690), un riche propriétaire de lignée franque, originaire de Haute-Alsace, s’installe dans la région d’Obernai ; d’abord duc des Alamans, il devient le troisième duc d’Alsace sous le nom d’Adalric Ier, succédant au duc Boniface, vers 662 : il est le fondateur de la dynastie. En 673, il érige le château de Hohenbourg [3], puis, en 680, il y ajoute un monastère, au sommet de ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de Mont Sainte-Odile (Fig. 2, 9), car sa fille Odile en devint la première abbesse. Il y mourut.

Fig. 9. - Les localités (noms actuels) citées sont replacées dans leur situation sur des cartes politiques de l'Empire des Francs entre le VIe et Xe siècle (fin de l'époque mérovingienne -jusque vers 750- et durant celle carolingienne - jusqu'à la fin du Xe siècle). Sur la carte de droite, en rose : les possessions de l'église; en grisé: les états tributaires des Francs.

À la fin du VIIIe siècle, le pouvoir et la puissance des ducs d'Alsace sont dangereux à la dynastie naissante des Carolingiens, aussi Pépin le Bref (encore maire du palais, donc avant son couronnement) supprime, entre 747 et 751, le duché en tant qu'institution sous Luitfrid Ier d'Alsace. Le titre sera brièvement rétabli en 867 par l’empereur Lothaire II (835-869) pour son fils Hugues, né de sa concubine Waldrade ; mais, en 870, suite au décès de Lothaire II, par le traité de Meersen, l’Alsace est échue à Ludwig dem Deutschen (Louis le Germanique, 806-876), le duché est supprimé avec maintien des deux comtés, Nordgau et Sundgau (Fig. 9). Par ce traité, le maintien de l’Alsace dans la Francie orientale (Ostfrankenreich) fera de cette région un membre du Saint Empire Romain de la Nation allemande [4] jusqu’en 1796 pour certaines possessions, dont Ostheim en tant que possession du duc de Wurtemberg.
En 925, Heinrich I. der Vogler (Henri Ier  l'Oiseleur, 876-936), duc de Saxe et roi de la Francie orientale (Ostfrankenreich), rattache l'Alsace au duché de Souabe. En l'an 1012, à la mort d'Hermann III de Souabe (1105-1160), margrave de Bade, le titre de duc d'Alsace est définitivement supprimé, et cette province, séparée de la Souabe, devient en fief relevant de l'Empire.

Tableau 1. - Généalogie de Hugues II (Etochonides). Des années peuvent avoir été calculées ou sont approximatives.

  • Eticho / Adalric Ier [a] (°635 au plateau de Langres - 20 février 690 au chateau de Hohenbourg [3]), duc des Alamans, puis duc d'Alsace ; vers 655 x Berswinda (645-690) qui est la fille de Sigebert III (630-656), roi d'Austrasie.
    • Odilia (°662 à Obernai - vers 720 à Hohenbourg), première abbesse de Hohenburg (aujourd'hui le Mont Sainte-Odile), canonisée sous Sainte Odile.
    • Adalbert [b] (°665 à Obernai - 722 à Königshoffen [c]), duc d'Alsace ; x Gerlinda de Pfalzel (685-714) ; xx Bathildis.
      • Luitfrid (705-767), dernier duc d'Alsace ; x Hiltrude.
    • Bathichon (675-725), comte.
    • Hugo I (672- >747), comte ; x Hermentruda ; tué par son père et son frère Bathicon.
    • Roswinde (°674), canonisée ; chanoinesse, vit avec sa sœur à l'abbaye de Hohenbourg.
    • Bereswinda ; x Aribert ( 700) (famille des Obotrites).
    • Eticho II (670- après 723), comte de Nordgau; x Ganna (705-720).
      • Hugo II (ou Huc/Huchus) (720-789), comte ; vers 655 x Grimhilde (724-756).
        • Haicho.
        • Grimhilde (778-813) ; 800 x Leuthard II (750-811), comte de Fézensac.
      • Albericus Ier (747), comte de Nordgau.
      • Etichon (720-776), évêque de Strasbourg.

    [a] aussi nommé Eticho, Aticus, Attich, Etih, Chadalricus… - il serait le fils d'Adalric (600-643), duc d'Attoarensis (Plateau de Langres - voir Garnier, 1849) et de Hultrude de Burgondie (°615) ; selon d'autres sources il descendrait des rois mérovingiens par son père Leudesius (ou Leuthari II), arrière-petit-fils de Clothaire Ier. Il fonde l'abbaye d'Ebersmünster sur ses terres dans la moitié du VIIe siècle.

    [b] L’empereur Lothaire Ier (795-855) a évoqué sa parenté avec Adalbert. En effet, son épouse Irmingard (805-851) est une descendance Etichonides : fille de Hugues le Peureux (770-837) > Luitfrid II (745-813), comte de Sundgau > Luitfrid Ier (705-767), duc d’Alsace > Adalbert.

    [c] Aujourd’hui Koenigshoffen (ou Königshoffen) est un quartier ouest de Strasbourg : le duc Adalbert d’Alsace y bâtit une villa royale d’où le nom du lieu qui servait aussi aux rois francs lorsqu’ils vinrent à Strateburgum (nom d'origine celte ou franque?), une ville royale sous les Mérovingiens. Elle est nommée Argentoratum en latin avec une origine celte. Au VIIIe siècle, il y avait environ 1500 habitants.

Données archéologiques mérovingiennes-carolingiennes

Des fouilles archéologiques (Logel & Putelat, 2012 ; Logel, 2013; Putelat & Logel, 2016) dans la zone du Birgelsgärten (sise à l'entrée Nord d'Ostheim – Fig. 1, 2, 9) ont montré qu’à partir du Haut Moyen Âge, c’est entre le VIIe siècle et le début du VIIIe siècle, que se constitue l’essentiel de l’occupation avec l’aménagement d’un espace central délimité par un enclos palissadé : il s’agit d’un établissement rural comprenant des bâtiments de plain pied, des cabanes semi-enterrées, un puits et des sépultures ; il est implanté dans la zone humide en bordure d'un ancien chenal de la Fecht. Au sud, l'enclos semble s'arrêter au bord de la Fecht (Fig. 10, 11). De l'autre côté du chenal, une fosse a livré un exceptionnel ensemble d'os de gibier et d'animaux domestiqués : selon Logel (2013), Putelat & Logel (2016), il pourrait s’agir des restes de chasses aristocratiques ou/et de banquets (Fig. 10).

Ces données corroborent la brève description et la localisation de la donation, ainsi que l'identité de son noble donateur :

  • au VIIIe siècle, Osthaim était une « villa & marca» (comme nous l’avons défini ci-dessus). Ainsi, se confirme une origine du village actuel d’Ostheim, estimée au Haut Moyen-Âge (Logel, 2013) et plus précisément après l’occupation de l’Alsace par les Francs au début du Ve siècle. A partir du VIe siècle, un domaine agricole ou regroupement de domaines francs était indistinctement mentionné en latin sous villa : il était situé près de l'eau et entouré de pâturages, tous deux indispensables pour leur bétail. Il pouvait s'étendre sur plusieurs dizaines à centaines d'hectares et pour un regroupement jusqu'à 60-110 têtes sur une superficie jusqu'à 2300 ha ; le cimetière était situé à 100-300 m des habitations (Ewig, 2001). Le cadre de la Fig. 1 représente une superficie d’environ 400 ha, ce qui permet d’envisager qu’à Ostheim ne se trouvait qu’une seule villa, celle mentionnée dans la donation et retrouvée par ces fouilles (Fig. 10, 11).
  • Putelat & Logel (2016) décrivent le contenu d’une fosse (Fig. 10) avec de nombreux ossements d’animaux domestiques et de gibier, ces derniers appartenant notamment à des bisons d’Europe (Bison bonasus (Linné, 1758)), des élans (Alces alces Linné, 1758), des cerfs (Cervus elaphus Linné, 1758), des sangliers (Sus scrofa Linné ,1758), toutes ces espèces sont encore présentes de nos jours en Europe. Le climat estimé vers le VIIIe siècle n’était guère différent, voire un tout petit peu plus frais qu’au siècle dernier (avant le changement climatique actuel).
    Selon Putelat & Logel (2016), le propriétaire du domaine devait appartenir à une élite aristocratique y pratiquant des chasses ou/et des banquets : ceci est bien conforme à celui ayant fait la donation, à savoir le comte Hugues II (voir paragraphe ci-dessus) de la famille des Etichonides (Tableau 1).

Fig. 10. - Schéma des fouilles d'après lequel a été fait le croquis ci-dessus : d'après Logel (2013), légèrement modifié - localisation des ensembles architecturaux attribués à l'occupation au Haut Moyen Âge - échelle 1/500e.

A partir de l’emplacement des diverses structures architecturales, représentées sur la Fig. 10, Logel (2013) a proposé une restitution du site d’Osthaim (Fig. 11). Ce lieu correspond au site Osthaim et marque ainsi l’emplacement primitif du village actuel d’Ostheim.

Fig. 11. - Croquis de restitution du site d'Osthaim d'après Logel (2013).

En outre, ces fouilles ont aussi révélées de la présence humaine sur le site dès la Protohistoire, certes exclusivement marquée par la découverte d'une hache polie en jadéitite, datée du Néolithique. Puis, du Bronze moyen jusqu'à La Tène (qui marque l'apogée de la civilisation celtique - jusque vers 25 avant J. C., avant l’occupation des Romains en Alsace), il y a trace d'une occupation avec des extractions de loess et un petit habitat (Logel, 2013) ; elle correspond à une présence celtique en Alsace.

La chronologie avec les principaux résultats des fouilles a été reportée sur le Tableau 2 (Logel, 2013). Pour plus de détails sur ces fouilles, nous renvoyons le lecteur aux travaux publiés par T. Logel et par O. Putelat (voir Références).

Tableau 2. – Chronologie avec un résumé des résultats des fouilles au Birgelsgärten (Ostheim) - d’après Logel (2013).

Chronologie
Vestiges
Mobilier
Néolithique moyen
/
Hache en jadéitite
Bronze ancien / moyen Fosse et inhumation Céramique
Bronze final III Fosses d’extractions, fosses, trous de poteau Céramique, chenet, applique à bélière en bronze
Hallstatt D / La Tène A Fosses d’extractions, fosses Céramique, faune, peson, fibules serpentiformes, épingles, pointe de lance en fer, lithique
Haut Moyen Âge Habitats, cabanes excavées et bâtiments sur poteaux, puits, sépultures Céramique, faune, fusaïole, peignes en os, peson, lithique, verre, terre cuite architecturale, mouture

Conclusions

La toponymie des lieux alsaciens traduit la complexité de leur histoire à travers les millénaires et, comme dans le cas d’Ostheim, doit faire appel à une nécessaire approche pluridisciplinaire pour trouver une interprétation satisfaisante. C’est aussi l’occasion de vérifier diverses données et ainsi de les compléter ou de reprendre un débat, notamment sur les documents et la généalogie. Dans un registre proche, cela rejoint aussi l’onomastique des noms de famille et des prénoms et de l’importance des connaissances linguistiques et paléographiques en Alsace, abordant celtique, latin et les différents dialectes allemands.

En replaçant ces résultats dans leur contexte historique et politique, il apparaît que la présence des Francs n’a induit, du point de vue linguistique, aucune influence notoire au sein de la population en Alsace. C’est l’invasion progressive des Alamans, au début du IIIe siècle, qui a progressivement relégué le celtique pour être remplacé par l’alémanique, l’usage du latin, langue officielle, étant réservé aux lettrés et aux clercs, ce sont les deux seules langues en usage durant tout le Moyen Âge en Alsace où le parler alémanique s’est maintenu jusqu’à nos jours. Les Francs formaient un peuple puissant, sa noblesse étant à la tête d’un large empire en Europe (Fig. 9), mais sans influence linguistique en Alsace. En revanche, c’est sous les rois mérovingiens (Francs) que l’Alsace connaît sa seule unité politique en tant que duché d’Alsace, avec successivement cinq ducs avant sa suppression vers 750 par Pépin le Bref.

Contrairement à ce qui est parfois énoncé, les toponymes celtiques n’ont pas toujours été germanisés, car, parfois considéré comme tel, alors qu’il s’agit d’un mot celtique : Ostheim en est un exemple. L’extension des Celtes à partir du noyau originel, dont l’Alsace, a eu lieu à partir du IIIe siècle avant J. C., notamment vers l’Europe de l’Ouest en prenant le nom de Gaulois.

Références

Bullet J. B. (1753). Mémoires sur la langue Celtique : contenant 1. L'histoire de cette langue... : 2. une description étymologique des villes... ; 3. un dictionnaire celtique...‬ ‪Daclin, Besançon, vol. 1, 487 p. [Osthaim, p. 229 ; Fecht, p. 237].

DMF (2017). Dictionnaire du Moyen Français. ATILF - CNRS & Université de Lorraine. http://www.atilf.fr/dmf, consulté le 25 mai 2018.

Emig C. C., 2012. Alsace entre guerres et paix. In : Faire la guerre, faire la paix : approches sémantiques et ambiguïtés terminologiques. Actes des Congrès des Sociétés historiques et scientifiques, Éd. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, p. 195-207 [en ligne - http://cths.fr/]

Ewig E. (2006). Die Merowinger und das Frankenreich. Kohlhammer, Stuttgart, 5e édition, 268 p.

Garnier J. (1849). Chartes bourguignonnes inédites des IXe, Xe et XIe siècles, extraites des manuscrits de la bibliothèque publique de Dijon et des archives départementales de la Côte d'Or, recueillies et expliquées dans une introduction historique. Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France, 2e série, Antiquités de la France, 2, p. 1-168.

Grandidier P. A. (1787). Histoire ecclésiastique, militaire, civile et littéraire de la province d'Alsace. Pièces justificatives. Levrault, Strasbourg, vol. 2, 286 p. [Osthaim, p. XLIII].

Hirsch H. (1934). Die Urkundenfälschungen des Klosters Ebersheim und die Entstehung des Chronicon Ebersheimense. Festschrift Hans Nabholz, Zürich, p. 22-53.

Jullian C. (1915). La question de l'origine germanique ou celtique de l'Alsace. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 59 (3), p. 217-218.

Logel T. (2013). Ostheim, Haut-Rhin, Birgelsgaerten - RD 416 - rue de Strasbourg. Rapport de Fouilles préventive, Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan, Sélestat, vol. 1 : La pré- et protohistoire, 245 p.   vol. 2 : Le haut Moyen Âge et la période moderne, 258 p.

Logel T. & Putelat O. (2012). La fouille archéologique d'Ostheim "Birgelsgaerten". Synthèse des résultats scientifiques. Pair-archéologie, Sélestat, 24 p.

Pfister C. (1890-1892). Le duché mérovingien d’Alsace et la légende de Sainte-Odile. Suivis d’une étude sur les anciens monuments du Sainte-Odile. Annales de l'Est, 4e année - 1890, 433-465 ; 5e année - 1891, 392-447 ; 6e année - 1892, 27-119.

Putelat O. & T. Logel (2016). Une chasse aristocratique dans le Ried centre-Alsace au premier Moyen Âge: l’apport de l’archéozoologie à la connaissance du site d’Ostheim Birgelsgaertner (Haut-Rhin, France). Mémoires de l’Association française d’Archéologie mérovingienne, 32, p. 255-270.

Schannat J. F. (1724). Corpus traditionum Fuldensium, ordine chronologico digestum, complectens omnes et singulas imperatorum, regum, principum ... pias donationes in ecclesiam Fuldensem collatas, ab anno fundationis sua CCCXLIV. ad finem usque saeculi XIII. Accedit Patrimonium S. Bonifacii, sive Buchonia vetus ex iisdem traditionibus eruta, aliisque monumentis Fuldensibus aucta et illustrata, cum praefixa mappa geographica, Francesco Domenico Bencini. Weidmannum, Saxoniae bibliopolam, Leipzig, 440 p. [Osthaim/Ostheim, p. 38-39, p. 420].

Sickel T. (éd.) (1893). Die Urkunden Otto des III (Ottonis III. Diplomata). Hahn, Hannovre, ‪vol. 2 de Monumenta Germaniae Historica. Die Urkunden der deutschen Könige und Kaiser, 611 p.

Stengel E. (1956). Urkundenbuch des Klosters Fulda. Elwert, Marburg, vol. 1/2, 386 p. [Ostheim, p. 240-244].

Stoffel G. (1868). Dictionnaire topographique du département du Haut-Rhin comprenant les noms de lieu anciens et modernes rédigé sous les auspices de la société industrielle de Mulhouse. Imprimerie impériale, Paris, 261 p.
Stoffel G. (1868) en ligne in Comité des Travaux historiques et scientifiques (CTHS) (2012). Dictionnaire topographique de la France comprenant les noms de lieux anciens et modernes, CTHS, Paris, http://cths.fr/dico-topo/index.php - consulté le 19 mai 2018.

TLFi (2004). Trésor de la langue Française informatisé. Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) & Université de Lorraine, http://atilf.atilf.fr/ - consulté le 25 mai 2018.

Walther T. (2013). Das Chronicon Ebersheimense : Vorüberlegungen zu einer Edition und Untersuchung des "Gesamttextes ». Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 161, p. 59-84.

Wentzcke P. (1910). Chronik und Urkundenfälschung des Klosters Ebersheim. Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 25, p. 35-75.

Wilsdorf C. (1960). L'Alsace et la chanson des Nibelungen. Revue d'Alsace, 99, p. 7-37 [Ebersmünster, p. 25-28]

Wilsdorf C. (1967). Les Etichonides aux temps carolingiens et ottoniens. Actes du 89e Congrès National des Société savantes, Lyon 1964 in Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des Travaux historiques et scientifiques, année 1964, p. 1-33.


Notes :

[1] Toponymie = ensemble, système formé par les noms de lieux d'une région ou d'une langue ; = étude linguistique des noms de lieux, d'une région ou d'une langue, du point de vue de leur origine, de leur transformation, ou de leur signification (TLFi , 2017).

[2] Suivant les recommandations typographiques françaises récentes, les noms allemands sont écrits avec l'Umlaut et non avec l'écriture alternative française, ici ae..

[3] Souvent confondu avec ce château et son abbaye de Hohenbourg du Mont Sainte-Odile, un autre château du Hohenbourg, construit au milieu du XIIIe siècle, se situe près de Wingen (F-67510) au nord de Lembach, à quelques centaines de mètres de la frontière franco-allemande.

[4] L’Alsace a fait partie du Saint Empire Romain dès la création en 962, devenu au XVe siècle le Saint Empire Romain de la Nation Germanique dans sa formulation correcte (en allemand Heilige Römische Reich Deutscher Nation).


Données complémentaires (29 juin 2018)

Cadastre du ban communal d'Ostheim établi au XVIIIe siècle, avec les bans voisins et leurs limites (en brun) - et les bans (en rosé ou gris) des communes actuelles (noms en noir). Carte modifiée.

Le détail du triangle Fecht – route d'Ostheim à Séléstat – rivière Altenbach dans lequel se situe les constuctions orignelles de la villa Osthaim au VIIIe siècle : noms des terres et leur usage à l'époque du cadastre sont mentionnés dans le tableau ci-dessous.

Liste des terres recensées dans le cadastre ci-dessus avec leur nom, superficie et usage dans la zone correspondant à la création originelle du village - [a] aujourd'hui nommé Birgelsgaerten, devenu une zone artisanale.

Superficie en :  
arpents
perches
Terres
6. Darsilacker
33
20
Communaux ou terres cultivées comme jardins
19. Rottgärten & Brühlgärten
8
 75
20. Inselgärten
54
21. Graßgärten
1
65
22. Bircklergärten [a]
2
2
23. Rebgärten
8
55
Prés
33. Oberebach Matten
15
88
Pâturages
41. Gäntzweide
4
82
42. Bühl
5
61
44. Emplacement du village, vergers
13
12


Emig C. C., 2018. Osthaim et l’origine toponymique et historique du village alsacien Ostheim (Haut-Rhin).
Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_03-2018, p. 1-14.

[Version PDF]


Mise en ligne le 29 mai 2018 [données complémentaires: 29 juin 2018]- © Christian C. Emig - Nouveaux eCrits scientifiques