Daniel Victor Œhlert ** est né à Laval (Mayenne, France) le 1er novembre 1849. Son père Victor Henri (1803-1883) est un propriétaire négociant et sa mère Adèle Féron (1820-1895). Il est le petit-fils du colonel Johann Daniel Öhlert, un Alsacien né à Ostheim (Haut-Rhin) en 1765 et décédé à Laval en 1814, un militaire qui a continué sa prestigieuse carrière militaire dans la Mayenne en combattant la Chouannerie ; en 1797, il se marie à Laval avec Françoise Marie Pottier-Fortinière (1768-1834); ils ont eu 8 enfants. Pauline Eugénie, née Crié, et Daniel Victor Œhlert Daniel Œhlert se marie en 1874 à Laval avec Pauline Eugénie Crié (1854-1911), fille d'un médecin réputé dans tout le département de la Mayenne. Ils n'ont pas eu d'enfants. Victor Œhlert, père de Daniel, Pierre Crié (1814-1889), père de Pauline et Ollivier Joubin (°1807), grand-père du zoologiste et spécialiste de brachiopodes Louis Joubin (1861-1935), formait un trio d'amis, habitant Laval et se réunissant souvent. « Petit-fils d'Alsacien, il synthétisait en lui sa race : il en avait la forte carrure, la démarche ferme et un peu pesante, la bonhomie calme, l'ironie spirituelle et franche ; il en avait aussi l'admirable droiture morale, la vigueur intellectuelle, la foi profonde, le patriotisme patient et obstiné. On le savait un grand savant et un grand cœur; tout le monde le respectait et l'estimait; ceux qui l'ont mieux connu et qui furent ses amis s'inclinaient avec un très affectueux respect devant une qualité d'esprit et une grandeur morale que sa délicate modestie semblait vouloir dissimuler » (Bigot, 1922). Le 6 novembre 1871, Daniel Œhlert est nommé Bibliothécaire surnuméraire de la ville de Laval, le 8 janvier 1872, Bibliothécaire adjoint et Conservateur du musée d'Archéologie et du muséum d'Histoire naturelle, et, le 1er mai 1883, bibliothécaire en chef. En 1894, il abandonne la Bibliothèque, après l'avoir considérablement enrichie, pour ne conserver que l'administration des deux musées (Joubin, 1921). Portrait de Daniel Victor Œhlert, en 1912 - Photo © coll. Musées de Laval Ses fonctions de bibliothécaire et de conservateur laissaient à Daniel Œhlert une indépendance lui permettant de se consacrer à la géologie et à la paléontologie qui l’attiraient beaucoup : un « amateur » puisqu’aucune obligation professionnelle, ni lien officiel ne le reliait à la Science, seulement une curiosité passionnée, partagée par son épouse Pauline. Chaque année en hiver, le couple passait pour plusieurs mois à Paris dans le laboratoire de Paléontologie du Muséum et dans celui de Géologie de la Faculté des Sciences (Sorbonne), où il était respectivement accueilli par leurs directeurs Albert Gaudry (1827-1908) et Edmond Hébert (1812-1890). Il noua des amitiés avec Paul Fischer (1835-1893) et Ernest Munier-Chalmas (1843-1903). Daniel et Pauline Œhlert disposaient à la Sorbonne d’une des tables de la Salle Brongniart, l’autre étant occupée par Munier-Chalmas. Reprenant l’autobiographie (inédite) d’Alexandre Bigot (1863-1953), Lepage et al. (2011) mentionnent : « 1889 - La Salle Brongniart était très animée à partir de 5 heures du soir. C’était le moment où arrivaient Cotteau qui avait besoin d’échantillon pour sa description des Echinides de la Paléontologie française, Paul Fischer pour la préparation de son Traité de Conchyliologie, le ménage Œhlert, des géologues de passage à Paris, de Saporta... ». Dans la Notice de Munier-Chalmas (1903), dans la liste p. 4 sur les « Directions de laboratoires et enseignement », on peut lire : « M. Œhlert, correspondant de l’Institut, et Mme Œhlert. » À l'Ecole des Mines, Joseph Douvillé (1846-1937) lui ouvrait les collections de paléontologie, notamment celles des fossiles dévoniens des collections de D'Orbigny et de De Verneuil. Fernand Kerforne (1864-1927) de Laval, parfois considéré comme le père de la géologie bretonne, doit sa passion pour la géologie à Daniel Œhlert suite à une rencontre déterminante entre deux voyages à Paris dans les années 1880-90. Ce dernier l'initie à la géologie. Kerforne devient préparateur, puis professeur de géologie : en 1914, il dirige le laboratoire de géologie de l'Université de Rennes. Aujourd'hui, une des salles de ce laboratoire porte le nom « Daniel Œhlert ». C’est en 1877, que Daniel Œhlert publie son premier travail « sur les fossiles dévoniens du département de la Mayenne » dans le Bulletin de la Société géologique de France. Plus d'une centaine de travaux suivent. Sa production s'arrête en 1911 avec le décès brutal de son épouse Pauline. Cette dernière fut sa principale collaboratrice et souvent inspiratrice des études scientifiques qu'il mena. Une collaboration de tous les instants tant au laboratoire que sur le terrain les unissait. Mais, comme le note Bigot (1922) dans la nécrologie de D. Œhlert : « Par un sentiment exagéré du rôle que la femme doit jouer dans le domaine intellectuel où se meut son mari, Mme Œhlert s'effaçait volontairement avec une modestie rare devant la personnalité de celui-ci. » A partir de 1887, le nom d'auteur est devenu Œhlert D.P. [Œhlert Daniel-Pauline] ajoutant ainsi l'initiale de Pauline à celle de l'initiale du prénom Daniel, les deux initiales étant reliées par un tiret, symbole d'amour d'un couple parfaitement uni. Bigot (1922) ajoute : « le prénom de Pauline ajouté à celui de son mari Daniel sur les listes des correspondants de l'Académie des Sciences furent les seules formes sous lesquelles Mme Œhlert accepta que fût manifestée sa collaboration à l'œuvre de son mari. » En mai 1884, Œhlert entre au Service de la Carte géologique de France (Ministère des Travaux) en qualité de collaborateur adjoint, puis en juin 1889 comme collaborateur principal. Il publia plusieurs feuilles, dont quatre extrêmement difficiles : Château-Gontier (Œhlert & Bureau, 1896), Mayenne (Œhlert & Bigot, 1900), Laval (Œhlert et al., 1906), La Flèche (Œhlert et al., 1911). Les travaux d'Œhlert ont principalement porté sur les peuplements des mers paléozoïques du Maine, de l'Anjou et du Cotentin. En se focalisant plus particulièrement sur le Dévonien, il fit connaître ces faunes seulement signalées jusqu'alors par quelques courtes descriptions, notamment par Marie Rouault (Chauvel & Plaine, 2004), Edouard de Verneuil (1805-1873), Adolphe d'Archiac (1802-1868). Œhlert se consacra plus particulièrement à l’étude des Crinoïdes, des Trilobites et surtout des Brachiopodes, dont son nom est inséparable tant pour les formes fossiles qu’actuelles. Dans la collection constituée par Daniel et Pauline Œhlert, plus de 20 nouveaux genres avec plus de 150 nouvelles espèces d'invertébrés dévoniens et actuels. Seule la liste concernant les brachiopodes est mentionné par Emig (2013) d'après la liste (complétée) de Jérôme Tréguier du Musée des Sciences de Laval où est localisée une grande partie de la collection. Dans ses travaux sur les brachiopodes tant fossiles qu'actuels, il a porté une attention particulière sur les impressions musculaires et sur les caractéristiques et le développement du brachidium et du lophophore, notamment Œhlert (1887, 1891) et Fischer & Œhlert (1890, 1891, 1892). Leurs publications ont eu une grande influence sur la prise en compte dans la taxinomie et dans la terminologie employée pour les descriptions et les diagnoses des genres, ainsi que dans l'établissement de modèles à partir du développement du brachidium. Ces observations servent de modèle pour reconnaître et différencier les taxons du genre à la famille. Elles sont rapidement complétées, notamment par Beecher (1893, 1897) et Thomson (1915). Œhlert a aussi étudié les impressions muscualires dans d'autres groupes zoologiques comme les gastéropodes (voir par ex. Horny, 2004). L’appendice Brachiopodes (Œhlert, 1887) du Manuel de conchyliologie et de paléontologie conchyliologique de Fischer (1880-1887) est une contribution majeure de l’auteur à la connaissance des brachiopodes, une contribution généralement ignorée et qui pourtant mériterait d’être approfondie. En quelque 145 pages, il rappelle avec beaucoup d’à-propos les connaissances générales sur l’anatomie, la distribution géographique, bathymétrique et stratigraphique, avec des figures d’après des auteurs qui sont parfois restés méconnus ; il y propose un synopsis des genres avec des descriptions de caractères taxinomiques que bien des auteurs, et jusqu’à nos jours, ont ignorés et qui incontestablement méritent d’être repris et étudiés. Il y soumet aussi une discussion critique sur les genres et les familles, à comparer à la même époque avec celle de Davidson (1886-1888). Lors du Congrès géologique international à Paris en 1900, Œhlert (1901) a suggéré que, si l'on reproduisait par la photographie, le type même de l'espèce et des spécimens appartenant authentiquement à la même espèce, on éviterait toutes chances d'erreur dans les déterminations. Par la même occasion, ces données fourniraient à la stratigraphie et à la paléontologie des documents indiscutables. Ceci a conduit à la création de la publication Palæontologia universalis, adoptée à ce congrès et patronnée par les Congrès géologiques internationaux suivants et subventionnée par eux. Cette publication, dirigée par un Comité international, dont le président fut K. von Zittel et le secrétaire D.P. Œhlert, avait pour but d’éditer sur fiches les types des espèces fossiles (Cossmann, 1904 ; Œhlert, 1903, 1904). Mais ce travail est à la fois long et coûteux, nécessite une collaboration internationale et une centralisation des efforts. Œhlert (1903) a publié 5 fiches, dont quatre sur des Brachiopodes : Crania striata Defrance, Crania parisiensis Defrance, Spirifer venus d'Orbigny, Terebratula undata Defrance. De 1903 à 1912, plus de 250 fiches de la Palæontologia universalis ont été publiées, alors que 150-160 fiches par an étaient prévues. Mais, cette publication, comme d’autres tentatives d’avant guerre, va disparaître avec les prémices de la première guerre mondiale, marquant la fin de la nécessaire collaboration internationale et dotation financière. Sur le plan international, Daniel Œhlert a eu des échanges fructueux, notamment avec des chercheurs d’Amérique du Nord comme les stratigraphes et paléontologues James Hall (1811-1898), élu en 1884 correspondant étranger de l’Académie des Sciences de Paris, et John M. Clarke (1857-1925), tous deux ayant été directeurs du New-York State Museum. L'œuvre géologique et stratigraphique d'Œhlert n'est pas moins importante que ses travaux de paléontologie. A l'exception de deux notes sur les terrains paléozoïques des environs des Eaux-Bonnes (département des Pyrénées atlantiques), ses travaux ne concernent pratiquement que des terrains paléozoïques des départements de la Mayenne et de la Sarthe, et accessoirement des départements de l'Orne et de l'Ille-et-Vilaine. Œhlert termine ses études sur le terrain en 1909. Aussi, pouvait-il demander à la Société géologique de France de tenir une de ses réunions extraordinaires dans la Mayenne et la Sarthe. Préparée avec un soin parfait par Daniel et Pauline Œhlert (1909), favorisée par un temps exceptionnellement beau, cette réunion conduisit pendant neuf jours vingt-cinq de ses confrères et presque autant de personnes étrangères à la Société à travers tous les terrains et toutes les formations de la région. Bigot (1922) souligne qu’elle fut véritablement triomphale. Un livret-guide avait été préparé par les Œhlert à partir de leur observations sur le terrain depuis 1875 ; il sera complété par le compte-rendu de la réunion (1909, 1911). De la région mayennaise si confuse, si peu connue, si compliquée, D.P. Œhlert « ont » fait une région des plus instructives (Aertgeerts et al., 2011) et des mieux connues d'Europe. Ceci pesa fortement dans l’élection de Daniel comme membre correspondant de l’Académie des Sciences. En 1910, Daniel Œhlert redevient vice-président de la Société géologique de France (il le fut déjà en 1891) en même temps que son épouse Pauline Crié. « La Société géologique en l’appelant à la vice-présidence en même temps que son mari, consacrait publiquement une collaboration connue de tous ceux qui approchaient nos deux confrères et qui savaient que leurs travaux ont été conçus, préparés et exécutés en commun. C'est donc leur œuvre commune qui sera retracée ici sous le nom d'Œhlert, comme elle a paru sous leur nom » (Bigot, 1922). Début 1911, lui est élu président de la Société. Malheureusement peu après, le 22 février 1911, Pauline Œhlert, née Crié, décède brutalement : « celle qui a consacré toute sa vie à la science, en constante collaboration avec son mari Mme Œhlert possédait en effet l'heureux privilège d'allier à une science aussi étendue que discrète le charme et la simplicité de la femme accomplie » (Fischer, 1912). Daniel Œhlert ne devait pas « se relever du coup qui le frappait dans sa plus chère affection et le privait de celle qui avait été pendant trente-six ans sa compagne dévouée et aimée, la collaboratrice de ses travaux et souvent leur inspiratrice » (Bigot, 1922). Joubin (1921) rapporte : « C'était quelques mois après la mort de Mme Œhlert qui fut pour lui un véritable écroulement. Il tint, malgré son deuil, à réunir cinq ou six vieux amis dans un dîner que nous fîmes notre possible pour rendre moins lugubre; mais à la fin il nous lut un petit discours qui était en quelque sorte un adieu poignant à la science et un remerciement à ses collaborateurs. A partir de ce moment il ne s'occupa plus que d'archéologie lavalloise. » Ainsi, il met un terme à ses travaux, même à ceux encore en cours. Son activité est consacrée à mettre en ordre les collections du Musée de Laval. Une partie de sa fortune est aussi consacrée à la restauration de l'ancien château. Il décède le 17 septembre 1920 dans une des salles récemment rénovées du château. Il lègue sa fortune, ses biens et ses collections à la ville de Laval pour achever son œuvre et pour transformer le château en musée en y intégrant ses propres collections. Les livres sur les brachiopodes ont été légués à Louis Joubin, lui-même spécialiste de ce groupe, livres qu’il déposera à la bibliothèque du Muséum National d’Histoire naturelle de Paris (Joubin, 1921) Distinctions et appartenance
Photos © J. Tréguier >
À lire : L'auteur, fils de Paul Fischer (1835-1893), a repris, après la mort de son père, la publication du Journal de Conchyliologie.
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