Synonyme Phoronis embryolabi Temereva et Chichvarkhin, 2017
 

Phoronis embryolabi Temereva & Chichvarkhin, 2017
est-elle vraiment une nouvelle espèce ?

La première étude à faire aurait été de comparer des individus identifiés comme Phoronis pallida avec ceux supposés être de P. embryolabi. Temereva & Chichvarkhin (2017) ne mentionnent que l’examen de deux exemplaires [1] attribués à cette dernière espèce, récoltés dans la baie de Vostok, à environ 80 km à l'Est de Vladivostok (Russie), dans un tube de la crevette Axiidée Nihonotrypaea japonica dans la baie de Vostok (Mer du Japon, Russie) [voir aussi Santagata, 2004]. Or, pour identifier une espèce, 10 à 20 spécimens sont nécessaires pour éviter que des variations d’un caractère soient mal interprétées (Emig, 2017a, 2017b). De tels exemples existent et peuvent aussi concerner des caractères liés à la régénération, jusqu'à décrire de nouvelles espèces - ce fut le cas par Temereva (2000) et Temereva & Malakhov (1999).

En comparant la description des caractères taxinomiques attribués à P. embryolabi avec la diagnose de P. pallida (Emig, 1987 ; Viéitez et al., 1987 ; Emig et al., 2005 ; Emig, 2017b), on ne peut que confirmer ce qu'écrivent Temereva & Chichvarkhin (2017, p. 65), à savoir : « P. embryolabi among phoronids is extremely (sic) similar to that of Phoronis pallida. » Et selon ces auteurs, le seul caractère distinctif serait dans les métanéphridies, dont pourtant la disposition est identique  jusque dans les deux pseudo-entonnoirs, l'anal légèrement plus grand que l'oral, comme décrit pour P. pallida par Viéitez et al. (1987). En outre, il a été bien décrit que les tissus des métanéphridies évoluent au cours de la vie pour atteindre la forme la plus développée durant la période de reproduction. Dans des individus juvéniles, les néphridies peuvent avoir des pseudo-entonnoirs difficiles à distinguer et pouvant conduire à ne décrire qu’un seul entonnoir, alors que des exemplaires matures développent des forts épithéliums autour des entonnoirs [voir aussi Phoronopsis harmeri].

Deux caractères apomorphes de P. pallida, aussi décrits chez P. embryolabi, sont uniques parmi les phoronidiens : - la présence de trois sphincters circulaires dans le tronc, et - une musculature longitudinale particulière, bien étudiée par Silén (1952) (voir aussi Emig, 1987 ; Viéitez et al., 1987 ; Emig et al., 2005). L’établissement de formules musculaires chez P. pallida n’est pas toujours aisé à cause de la disposition particulière des faisceaux musculaires - à noter que ces formules ne sont pas un caractère taxinomique, car en relation avec la taille d'un individu (Emig, 1985) ; néanmoins, P. pallida semble une exception avec un nombre pratiquement constant de muscles. P. embryolabi  possède ces mêmes caractéristiques et dispositions, mais avec mésinterprétation quant au nombre de muscles par Temereva & Chichvarkhin (2017) qui notent « ...and the bundles cannot be strictly distinguished. The approximate muscle formula is... »

10 | 10
 8  |  8
 alors que la formule correcte est  5 | 5 
4 | 4

Ainsi, selon la diagnose et l'analyse cladistique (Emig, 1985, 2017b, basée sur plus d'une centaine d'exemplaires), la synonymie n’est donc pas surprenante, d'autant que l’analyse de la cytochrome oxydase (ou COI) confirme une position unique de cette espèce au sein des Phoronidiens, d’ailleurs sans que P. pallida ne soit analysée (Temereva & Chichvarkhin, 2017 : Table 5). A noter que ces auteurs eux-mêmes indiquent : « according to analysis of 28s rRNA, P. embryolabi is close to Phoronis pallida. » Cette seule assertion montre bien la limite de l'analyse moléculaire comparée à la cladistique dans la systématique eu sein d'un genre, ici Phoronis !

En analyse cladistique, les caractères apomorphes de P. pallida ne peuvent pas être partagés par une nouvelle espèce, sauf si cette dernière est synonyme. Par conséquent, une nouvelle analyse cladistique conduisant à de nouvelles hypothèses doit être faite pour éviter toute falsification (selon la définition même de la méthode cladistique) et surtout l'établissement d'une vraie diagnose phylogénétique [1].

Quant à la "viviparité" [2] constatée sur un ou deux individus (?), il faut rappeler que  l’espèce est hermaphrodite et que la fécondation chez les phoronidiens peut être interne : il convient donc qu’une étude sur cette possible ovoviviparité soit établie sur un large nombre d’individus, pour être probante. Elle pourrait aussi apparaître comme un développement embryonnaire anormal, donc exceptionnel, sous des conditions qu’il faudra établir et expliquer. La pollution radioactive le long des côtes autour de Vladivostok (OCDE, 1999) doit sûrement être prise en compte comme une cause possible. Il faut aussi noter que des développements embryonnaires et larvaires anormaux ont déjà été décrits chez d'autres espèces de phoronidiens [3].

En conclusion, Phoronis embryolabi est considérée comme synonyme de Phoronis pallida (Schneider, 1862) en attendant une analyse cladistique, basée sur l’étude de tous les caractères phylogénétiques d’au moins 10-20 spécimens (voir Emig, 1985, 2016). A noter que les individus utilisés pour une analyse moléculaire sont identifiés sur les caractères taxinomiques morphologiques ! Ainsi, Temereva & Chichvarkhin (2017) mentionnent dans leurs tables et figures des synonymes à côté d’espèces valides comme Phoronis vancouverensis au lieu de P. ijimai, P. architecta et non P. psammophila, Phoronospsis viridis au lieu de Phoronopsis harmeri, et probablement aussi Phoronis embryolabi et non P. pallida.


[1] Contrairement à ce qu'impose le Code par les art. 13A. et 16.4.2 (ICZN, 1999), il manque une diagnose de la nouvelle espèce. Dans un paragraphe nommé « differential diagnosis » (Temereva & Chichvarkhin, 2017), la première phrase est « Phoronis embryolabi, sp. nov. is most similar to Phoronis pallida Silén, 1952. », alors qu'une diagnose ne devrait donner que les seuls caractères phylogénétiques permettant de distinguer une espèce de toutes les autres du genre.

[2] Le terme correspondant à ce développement est ovoviviparité.

[3] Le site Web "Phoronida", comme celui de "Phoronida database", disposent en ligne d'une bibliographie sur les Phoronida, qui est pratiquement exhaustive, ce qui rend impossible de ne pas connaître les travaux des auteurs antérieurs.


Références

Emig C. C., 1985. Phylogenetic systematics in Phoronida (Lophophorata). Z. zool. System. Evolut.-forsch., 23 (3), 184-193.

Emig C. C., 2017a. Phoronida database.  Accessed at http://paleopolis.rediris.es/Phoronida_database/ on 8/6/2017.

Emig C. C., 2017b. Phoronis pallida (Schneider, 1862).  Accessed at http://paleopolis.rediris.es/Phoronida/SYST/ PALL/pall_ADULT_F.html on 8/6/2017.

Emig C. C., Roldán C. & J. M. Viéitez, 2005. Filo Phoronida. In: Fauna Ibérica, vol. 27. Museo de Ciencias Naturales, CSIC Madrid, p. 19-54 & 180-186 & 223-224.

International Commission on Zoological Nomenclature (ICZN) (1999). International Code of Zoological Nomenclature. The International Trust for Zoological Nomenclature, London, 4th edition, p. 127-306.

Kocot K. M., T.H. Struck, J. Merkel, D.S. Waits, C. Todt, P.M. Brannock, D.A. Weese, J.T. Cannon, L.L. Moroz, B. Lieb & K.M. Halanych. 2017. Phylogenomics of Lophotrochozoa with consideration of systematic error. Systematic Biology, 66 (2), 256-282.

OCDE, 1999. Examens des performances environnementale : Fédération de Russie. OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), Paris, 260 p.

OECD, 1999. Environmental Performance Reviews: Russian Federation 1999. OECD Publishing, Paris.
DOI: http://dx.doi.org/10.1787/9789264180116-en

Silén L., 1952. Researches on Phoronidea of the Gullmar Fiord area (West coast of Sweden). Arkiv för Zoologi, 4 (4), 95-140.

Temereva E., 2024. Unusual body division and epithelium structure in unusual phoronid Phoronis embryolabi. Zoology, 167 (126221).

Temereva E.N. & A. Chichvarkhin, 2017. A new phoronid species, Phoronis embryolabi, with a novel type of development, and consideration of phoronid taxonomy and DNA barcoding. Invertebrate Systematics, 31 (1), 65-84.

Viétiez J. M., Emig C. C., Rodriguez-Babío C. & A. M. García Carrascosa, 1987. Foronídeos de las costas de la Península Ibérica e Islas Baleares: sistemática, ecología, distribución y estados larvarios. Boletin del Instituto Español de Oceanografía, 40, 129-133.


Bibliographie complète sur P. pallida et sa larve Actinotrocha pallida -